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leur ennemi, est tombé vif entre leurs mains. Et lorsque quelqu’un lui dit : « Mais en vérité, cela est-il croyable ? », il lui réplique que cette nouvelle se crie et se répand par toute la ville, que tous s’accordent à dire la même chose, que c’est tout ce qui se raconte du combat, et qu’il y a eu un grand carnage. Il ajoute qu’il a lu cet événement sur le visage de ceux qui gouvernent, qu’il y a un homme caché chez l’un de ces magistrats depuis cinq jours entiers, qui revient de la Macédoine, qui a tout vu et qui lui a tout dit. Ensuite, interrompant le fil de sa narration : « Que pensez-vous de ce succès ? » demande-t-il à ceux qui l’écoutent. « Pauvre Cassandre ! malheureux prince ! s’écrie-t-il d’une manière touchante. Voyez ce que c’est que la fortune ; car enfin Cassandre était puissant, et il avait avec lui de grandes forces. Ce que je vous dis, poursuit-il, est un secret qu’il faut garder pour vous seul », pendant qu’il court par toute la ville le débiter à qui le veut entendre. Je vous avoue que ces diseurs de nouvelles me donnent de l’admiration, et que je ne conçois pas quelle est la fin qu’ils se proposent ; car pour ne rien dire de la bassesse qu’il y a à toujours mentir, je ne vois pas qu’ils puissent recueillir le moindre fruit de cette pratique. Au contraire, il est arrivé à quelques-uns de se laisser voler leurs habits dans un bain public, pendant