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Du grand parleur

Ce que quelques-uns appellent babil est proprement une intempérance de langue qui ne permet pas à un homme de se taire. « Vous ne contez pas la chose comme elle est, dira quelqu’un de ces grands parleurs à quiconque veut l’entretenir de quelque affaire que ce soit : j’ai tout su, et si vous vous donnez la patience de m’écouter, je vous apprendrai tout » ; et si cet autre continue de parler : « Vous avez déjà dit cela ; songez, poursuit-il, à ne rien oublier. Fort bien ; cela est ainsi, car vous m’avez heureusement remis dans le fait : voyez ce que c’est que de s’entendre les uns les autres » ; et ensuite : « Mais que veux-je dire ? Ah ! j’oubliais une chose ! oui, c’est cela même, et je voulais voir si vous tomberiez juste dans tout ce que j’en ai appris. » C’est par de telles ou semblables interruptions qu’il ne donne pas de loisir à celui qui lui parle de respirer ; et lorsqu’il a comme assassiné de son babil chacun de ceux qui ont voulu lier avec lui quelque entretien, il va se jeter dans un cercle de personnes graves qui traitent ensemble