lui dit de revenir une autre fois. Il cache soigneusement tout ce qu’il fait ; et à l’entendre parler, on croirait toujours qu’il délibère. Il ne parle point indifféremment ; il a ses raisons pour dire tantôt qu’il ne fait que revenir de la campagne, tantôt qu’il est arrivé à la ville fort tard, et quelquefois qu’il est languissant, ou qu’il a une mauvaise santé. Il dit à celui qui lui emprunte de l’argent à intérêt, ou qui le prie de contribuer de sa part à une somme que ses amis consentent de lui prêter, qu’il ne vend rien, qu’il ne s’est jamais vu si dénué d’argent ; pendant qu’il dit aux autres que le commerce va le mieux du monde, quoique en effet il ne vende rien. Souvent, après avoir écouté ce que l’on lui a dit, il veut faire croire qu’il n’y a pas eu la moindre attention ; il feint de n’avoir pas aperçu les choses où il vient de jeter les yeux, ou s’il est convenu d’un fait, de ne s’en plus souvenir. Il n’a pour ceux qui lui parlent d’affaire que cette seule réponse : « J’y penserai. » Il sait de certaines choses, il en ignore d’autres, il est saisi d’admiration, d’autres fois il aura pensé comme vous sur cet événement, et cela selon ses différents intérêts. Son langage le plus ordinaire est celui-ci : « Je n’en crois rien, je ne comprends pas que cela puisse être, je ne sais où j’en suis » ; ou bien : « Il me semble que je ne suis pas moi-même » ; et ensuite : « Ce n’est pas ainsi qu’il me l’a fait entendre ; voilà une chose merveilleuse
Page:La Bruyère - Œuvres complètes, édition 1872, tome 1.djvu/120
Cette page n’a pas encore été corrigée