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Dominique pere.

Chacun peut faire quelque chose d’élevé dans quelque état qu’il soit, il ne faut que vouloir ; les uns mettent leur ambition à bâtir, les autres à se mettre en charge, ceux-ci à envoyer leurs biens sur mer : phantôme que tout cela, rien n’approche du plaisir que j’imaginais. C’était une action dont l’idée m’a toujours plû & qui me réjouit encore, quand j’y songe ; la voici : supposons que je n’aie point d’enfant, je n’ai point d’héritier ; par conséquent ; j’ai là une somme bien ronde, bien complette & qui ne doit rien à personne : personne, après mon décès, ne compte dessus ; on ignore absolument ce que j’ai. J’écoute par le monde toutes les histoires que l’on y débite, je m’informe, je suis sur le qui vive, j’apprends secrettement qu’un honnête-homme, chef de famille, est tombé dans l’infortune, ou par un revers subit, ou par une persécution cruelle ; il va perdre son crédit ou sa liberté ; personne n’est assez riche, ou n’a la volonté de le secourir aussi promptement que le cas l’exige, il va être ruiné, il est perdu sans ressource… que sais-je ! j’arrive un beau matin à sa porte, je frappe, je demande à lui parler en secret, on m’introduit : j’entre tout comme je suis vêtu à présent, là, avec mon petit baril & mon tablier : il me regarde fort étonné… je lui dis tout bas à l’oreille en montrant ce baril du doigt ; honnête-homme infortuné, voilà