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tous les hommes sous une rétribution uniforme, on affamerait les uns et l’on ferait mourir d’indigestion les autres. L’individu seul est capable de savoir la dose de labeur que son estomac, son cerveau ou sa main peut digérer. On rationne un cheval à l’écurie, le maître octroie à l’animal domestique telle ou telle nourriture. Mais, en liberté, l’animal se rationne lui-même, et son instinct lui offre, mieux que le maître, ce qui convient à son tempérament. Les animaux indomptés ne connaissent guère la maladie. Ayant tout à profusion, ils ne se battent pas non plus entre eux pour s’arracher un brin d’herbe. Ils savent que la sauvage prairie produit plus de pâture qu’ils n’en peuvent brouter, et ils la tondent en paix les uns à côté des autres. Pourquoi les hommes se battraient-ils pour s’arracher la consommation quand la production, par les forces mécaniques, fournit au delà de leurs besoins ?

— L’autorité, c’est la paresse.

— La liberté, c’est le travail.

L’esclave seul est paresseux, riche ou pauvre : — le riche, esclave des préjugés, de la fausse science ; le pauvre, esclave de l’ignorance et des préjugés, — tous deux esclaves de la loi, l’un pour la subir, l’autre pour l’imposer. Ne serait-ce pas se suicider que de vouer à l’inertie ses facultés productives ? L’homme inerte n’est pas un homme, il est moins qu’une brute, car la brute agit dans la mesure de ses moyens, elle obéit à son instinct. Quiconque possède une parcelle d’intelligence ne peut moins faire que de lui obéir, et l’intelligence ce n’est pas l’oisiveté, c’est le mouvement fécondateur, c’est le progrès. L’intelligence de l’homme, c’est son instinct, et cet instinct lui dit sans cesse : Travaille ; mets la main comme le front à l’œuvre ; produis et découvre ; les productions et les découvertes, c’est la liberté. Celui qui ne travaille pas ne jouit pas. Le travail, c’est la vie. La paresse, c’est la mort. — Meurs ou travaille !

Joseph DÉJACQUES[1].
  1. De l’Humanisphère, publié par le Libertaire no 12, 7 avril 1859.