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la bataille des trente

songeait là à jouter pour l’honneur de « sa dame ou l’amour de son amie[1]. » Le débat était tout autre.

Depuis dix ans se poursuivait la guerre de la succession de Bretagne. Depuis dix ans, depuis six surtout, c’est-à-dire depuis la mort du comte de Montfort qui était le duc de Bretagne pour une partie des Bretons et pour les Anglais, — ces Anglais, sous prétexte de soutenir la cause de Montfort, pressuraient, torturaient la Bretagne par une exploitation sans cœur et sans entrailles. En 1351, dans une circonstance notable, un baron de Bretagne, des plus renommés pour sa vaillance et pour sa vertu, eut l’occasion de reprocher aux Anglais l’odieux de cette conduite, indigne d’hommes se disant chevaliers et chrétiens, et les somma d’y renoncer. La guerre de Bretagne étant avant tout pour les Anglais une très-fructueuse opération commerciale, ceux-ci refusent énergiquement de répudier ce gain honteux, et prétendent en justifier la légitimité. Le Breton indigné s’écrie :

« Dieu soit juge entre nous ! Que chacun de nous choisisse trente à quarante champions pour soutenir sa cause. On verra de quel côté est le droit. » (Laisse 4 du poème, édition Crapelet, p. 15).

Cette cause était grande et haute. Il s’agissait de savoir si, dans l’état de guerre trop fréquent au moyen-âge, les populations inoffensives, les petits et les faibles, surtout les habitants des campagnes, devaient être foulés aux pieds comme un vil bétail, ou si l’on était tenu d’observer envers eux autant que possible la loi chrétienne de l’humanité et de la justice.

C’est depuis peu de temps d’ailleurs qu’on connaît, sinon complètement, du moins plus exactement, tous les maux commis contre la Bretagne par les Anglais dans cette longue et trop longue guerre de Blois et de Montfort.


    copie bretonne, que nous appelons Ms. Didot parce qu’elle provient de la célèbre bibliothèque Firmin Didot, est aussi actuellement à la Biblioth. Nationale, sous la cote nouv. acq. fr. 4165 ; elle se compose de 8 feuillets vélin in-4o et est encore inédite. — Dans nos citations et nos renvois, nous indiquons le chiffre de la laisse à laquelle appartiennent les vers cités ou analysés, et la page de l’édition Crapelet où ils figurent.

  1. Froissart-Luce VI, p. 111 et 338.