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la bataille des trente

Les Anglais arrivent les premiers au chêne de Mi-Voie. En attendant les Bretons, Bembro recommence ses gloses sur Merlin et larde de ses railleries les retardataires.

Le retard des Bretons provenait de la façon dont, avant de quitter Josselin, ils s’étaient préparés à la bataille. Tous s’étaient confessés, avaient reçu l’absolution, et entendu plusieurs messes. Puis leur chef en quelques paroles s’était efforcé de faire passer en eux l’énergie inébranlable de son cœur, la clairvoyante fermeté de son esprit :

— Vous allez avoir affaire à des ennemis d’une audace sans égale, acharnés à notre perte. Faites donc appel à tout votre courage ; tenez-vous dans le combat serrés les uns contre les autres comme la prudence le commande aux plus vaillants[1]. Songez, si Jésus-Christ nous donne la victoire, songez à la joie qu’en ressentiront tous les guerriers de France, le pieux duc et la noble duchesse que nous avons pour souverains, qui jusqu’à la fin de leur vie ne cesseront de nous en témoigner leur reconnaissance (Laisses 18 et 19, Crapelet, p. 21).

Ainsi parla Beaumanoir. — Entre la préparation des Bretons et celle des Anglais, entre le caractère le langage du maréchal de Bretagne et celui de Bembro, le contraste est frappant. Le chef anglais, voyant le retard des Bretons, redouble ses fanfaronnades :

— Où es-tu Beaumanoir ? crie-t-il. Il ne viendra pas, vous verrez. Il est trop sûr d’être battu (Laisse 22, Crapelet, p. 22).

Au même instant Beaumanoir paraît. Alors ce qui caractérise très bien l’état mental de Bembro, — ce matamore qui à l’instant ne parlait que de tuer et d’écraser tout, maintenant il ne veut plus combattre, il veut ajourner la lutte. S’avançant poliment vers Beaumanoir :

— Bel ami, dit-il, il faut remettre ce combat. Il faut consulter nos maîtres, moi le roi Édouard, vous le roi de Saint-Denys[2]. Si cela

  1. « Tenés vous l’un à l’autre com gent vaillant et sage. »

    Cet ordre de Beaumanoir est d’autant plus curieux à noter, qu’il ne fut pas obéi.

  2. C’est-à-dire le roi de France, à qui les Anglais donnaient ce surnom, depuis que le roi anglais Édouard III revendiquait pour lui-même la couronne de France.