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de la mort plus pressantes et poignantes, ou bien la force de quelque médicament chaud qu’on lui avait fait avaler, il prit une voix plus éclatante et plus forte, et donnait des tours dans son lit avec tout plein de violence de sorte que toute la compagnie commença à avoir quelque espérance, par ce que jusques lors la seule faiblesse nous l’avait fait perdre. Lors, entre autres choses, il se prit à me prier et reprier avec une extrême affection, de lui donner une place : de sorte que j’eus peur que son jugement fut ébranlé. Même que lui ayant bien doucement remontré qu’il se laissait emporter au mal, et que ces mots n’étaient pas d’homme bien rassis, il ne se rendit point au premier coup, et redoubla encore plus fort : « Mon frère, mon frère me refusez-vous une place ? » Jusques à ce qu’il me contraignit de le convaincre par raison, et de lui dire, que puisqu’il respirait et parlait, et qu’il avait corps, il avait par conséquent son lieu. « Voire, voire, me répondit-il lors, j’en ai, mais ce n’est pas celui qu’il me faut : et puis, quand tout est dit, je n’ai plus d’être. — Dieu vous en donnera un bientôt, lui fis-je. — Y fussé-je déjà, mon frère, me répondit-il ; il y a trois jours que j’ahanne pour partir. » Étant sur ces détresses, il m’appela souvent pour s’informer seulement si j’étais près de lui. En fin il se mit un peu à reposer, qui nous con-