Page:La Boétie - Discours de la servitude volontaire.djvu/199

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout est dit, il y a fort longtemps que j’y étais préparé et que j’en savais ma leçon par cœur. Mais n’est-ce pas assez vécu jusques à l’âge auquel je suis ? J’étais prêt à entrer à mon trente-troisième an. Dieu m’a fait cette grâce, que tout ce que j’ai passé, jusques à cette heure de ma vie, a été plein de santé et de bonheur ; par l’inconstance des choses humaines, cela ne pouvait guère plus durer. Il était meshui temps de se mettre aux affaires et de voir mille choses mal plaisantes, comme l’incommodité de la vieillesse, de laquelle je suis quitte par ce moyen. Et puis, il est vraisemblable que j’ai vécu jusqu’à cette heure avec plus de simplicité et moins de malice que je n’eusse par aventure fait, si Dieu m’eut laissé vivre jusqu’à ce que le soin de m’enrichir et accommoder mes affaires me fut entré dans la tête. Quant à moi, je suis certain, que je m’en vais trouver Dieu et le séjour des bienheureux. » Or, parce que je montrais même au visage l’impatience que j’avais à l’ouïr : « Comment, mon frère, me dit-il, me voulez-vous faire peur ? Si je l’avais, à qui serait-ce à me l’ôter qu’à vous ? » Sur le soir, parce que le notaire survint, qu’on avait mandé pour recevoir son testament(¹), je le lui fis mettre par écrit, et puis je lui fus dire s’il ne le voulait pas signer : « Non pas signer, dit-il, je le veux faire moi-même. Mais je voudrais,