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années de son existence, sans un témoignage qui lui rappelât les jours heureux passés ensemble. Il lui légua sa bibliothèque. « Ledict testateur prie M. Me Ayquem de Montaigne, conseillier du Roi en la cour de Parlement de Bourdeaulx, son intime frère et inviolable amy, de reculhir pour un gaige d’amitié ses livres et papiers qui sont à Bourdeaulx, desquels lui faict présent, excepté de quelques ungs de droict qu’il donne à son cher cousin, fils légitime et hérittier du feu seigneur président de Calvymont[1]. » Montaigne accepta le legs avec une reconnaissance émue, et fi placée dans sa propre « librairie » ces témoins muets d’un sentiment qui lui tenait tant au cœur. Plus tard, dans son château de Montaigne, au second étage de cette tour dont il avait fait sa retraite favorite et dans laquelle il aimait à s’enfermer pour méditer et pour écrire, il avait sous les yeux le dernier présent de son collègue au Parlement de Bordeaux. Ces volumes lui redisaient la tendresse de l’ami absent, et sans doute il les contemplait en composant ce chapitre de l’Amitié, impérissable apologie de La Boétie. Ils faisaient revivre, en quelque sorte, celui qui les avait maniés auparavant. Et, devant cette évocation familière, les souvenirs de Montaigne s’éveillaient, nombreux et touchants. Il se répandait en confidences inoubliables, parce que le grand écrivain s’y mettait tout entier, qu’il renfermait dans ces quelques pages tout son génie et tout son cœur.

Paul BONNEFON.
  1. Voir ci-dessous, Appendice viii. — Le volume no 490 de la collection Payen (L.-G. Gyraldus, De Deis gentium varia et multiplex historia, Bâle, 1548, in-fo), me semble avoir appartenu à La Boétie, avant d’être possédé par Montaigne. Sur la page de titre, à côté de la signature de Montaigne, il y a une déchirure, un lambeau de papier enlevé, sur lequel se trouvait le nom d’un précédent possesseur, peut-être de La Boétie. À l’intérieur du volume, on trouve sur es marges quelques notes manuscrites dont l’écriture offre une analogie frappante avec celle de La Boétie. Celles-ci sont en latin ou même en grec, contrairement à la coutume de Montaigne, qui annotait ses livres en français.