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d’adresser à son docte ami les nouveautés littéraires. Un jour, à son envoi de livres il ajoute quelques vers charmants de La Boétie, et aussitôt Scaliger est dans l’admiration. M. Dezeimeris[1], auquel nous empruntons la plus grande partie de ces détails, et qui a eu le mérite de constater le premier les relations entre La Boétie et Scaliger, a trouvé dans les œuvres de ce dernier la preuve de ce contentement : « Je puis me réjouir amplement, m’estimer heureux et honoré, puisque vous avez daigné faire de moi des éloges capables de m’attirer l’estime et l’amitié du grand La Boétie et de me valoir une faveur rare[2]. » Mis en goût, Scaliger veut en avoir d’autres, et presse La Boétie, dont la veine poétique ne produit pas au gré de ses désirs. Poutant La Boétie s’exécutait bientôt[3], et la joie de Scaliger ne connaissait plus de bornes : « La Boétie, s’écriait-il dans des vers qui étaient vraiment à l’unisson de la prose de Montaigne, La Boétie est un homme qui a toutes les aptitudes. À quelque chose qu’il s’applique, il y dépassera tout ce que l’on peut attendre. Habitué à dénouer les nœuds gordiens de l’un et l’autre droit, il sait descendre des hauteurs d’une charge suprême, abaisser son esprit aux bagatelles d’Hipponax, et ne dédaigne pas de prendre la lyre de Phalœcus. Tout cela, nous l’avons vu ; mais que ne sommes-nous pas appelés à voir encore, à moins qu’il ne veuille priver à la fois lui et nous des dons de son esprit ! À vous, grand président, à vous revient le soin de dissiper cette crainte, cette anxiété cruelle, tellement qu’entraîné par la haute autorité de vos exhortations, il ne s’obstine plus à nous frustrer en se frustrant lui-même[4]. »

Néanmoins, ces paroles aimables ne séduisaient pas complètement La Boétie[5]. En vain Scaliger le grondait-il de sa froideur

  1. De la Renaissance des Lettres à Bordeaux au XVIe siècle, pp. 39 et 49, et aussi dans l’introduction placée en tête des Remarques et corrections d’Estienne de La Boétie sur le traité de Plutarque de l’Amour (Publications de la Société des Bibliophiles de Guyenne, t. I, pp. 101 et seq.).
  2. Julii-Cæsaris Scaligeri Poemata (1624), p. 20.
  3. La Boétie adressait à Scaliger ses vers sur l’Hermaphrodite ou sur la Grotte de Meudon, construite par le cardinal de Lorraine, et Scaliger le remerciait aussitôt d’un envoi qu’il avait vivement sollicité (Poemata, 1574, p. 201).
  4. J.-C. Scaligeri Poemata (1574), p. 420. — Ailleurs (ibid., p. 347), dans une épître à La Boétie et à Brassac, Scaliger s’adressait aussi fort élogieusement au premier.
  5. Dans les vers latins de La Boétie nous ne trouvons qu’une seule pièce adressée à Scaliger (Poemata, f° 119 v° ; ci-dessous, p. 243). À la mort de celui-ci (1558), La Boétie composa, sur le grand philologue, des