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était assez pour plaire moins à l’esprit de Montaigne, car il était de ceux « qui tiennent que la poésie ne rid point ailleurs comme elle faict en un subjet folatre et desréglé ». Ainsi que les vingt-cinq sonnets du premier recueil, les vingt-neuf sonnets nouveaux insérés dans les Essais redisent les joies et les douleurs d’une passion tumultueuse ; aux uns et aux autres ces vers d’un des plus beaux d’entr’eux pourraient servir d’épigraphe[1] :

Chacun sent son tourment et sçay ce qu’il endure ;
Chacun parla d’amour ainsi qu’il l’entendit.
Je dis ce que mon cœur, ce que mon mal me dict.
Que celuy ayme peu qui ayme à la mesure !

Ce sont en effet ses propres souffrances, leurs violences, leurs transports, que La Boétie y analyse et il le fait avec une vivacité de touche qui égale la variété de ses impressions.

Ces sonnets sont assez nombreux, pour qu’il puisse se dégager, de leur examen, une idée générale du talent poétique de leur auteur. La Boétie n’était pas poète, au sens ordinaire du mot. Il ne se livrait à la poésie ni par inspiration, ni par habitude, et n’en faisait qu’un délassement. De là, une certaine infériorité sur ses contemporains qu’on avait déjà notée de son temps. Il ne faut point cependant se montrer trop sévère pour ces essais. Quelques-uns sont de la prime jeunesse de La Boétie, c’est-à-dire composés un peu avant le mouvement de rénovation littéraire qui est demeuré le titre de gloire de la Pléiade. On doit savoir en tenir compte à leur auteur. Parfois aussi, dans ces vers trop peu harmonieux et qui manquent

    Me Florimond de Raymond, conseiller au dit Parlement, contre le dit de Chegaray, qui n’avait pas mis le dit Raymond en jouissance de cette maison. C’est apparemment à l’un de ces deux Poyferré, l’avocat ou le procureur, que Montaigne fait allusion dans ce passage. Montaigne le cite également dans deux lettres au maréchal de Matignon, l’une du 9 février, l’autre du 13 février 1585, reproduites toutes deux à la suite des Essais, édition Courbet et Royer, t. I, p. 340 et 345.

  1. Sainte-Beuve, qui le cite en entier (Nouveaux Lundis, t. IV, p. 308), estime que c’est le meilleur des vingt-neuf sonnets intercalés par Montaigne dans les Essais et souligne trois vers qu’il trouve très beaux. Il rapproche ce sonnet, pour l’intensité de la passion, de ceux de Louise Labé et le critique ajoute : « Mais, bon Dieu ! que la prose de La Boétie est elle-même plus coulante que ses meilleurs vers ! »