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version méritait de n’être point oubliée à cause de ses qualités évidentes. C’est elle qui reproduit le plus heureusement les grâces particulières à l’original. En passant ainsi d’une langue dans l’autre, l’attrait s’est amoindri assurément ; il est cependant assez grand encore pour qu’on relise ces pages avec plaisir même de nos jours. Dans la copie de La Boétie, les traits principaux du tableau sont demeurés intacts. Seul le style est trop souvent lâche et traînant, un peu diffus par suite des efforts de l’écrivain ; pourtant il garde, suivant une expression heureuse, « ce coloris discret et cette touche qui sont le charme de l’atticisme au temps de sa perfection classique ». À peine serait-il besoin de quelques retouches, faites avec retenue, pour rendre à cette copie toute sa couleur première, comme il suffirait de quelques corrections philologiques pour la mettre au courant de la science moderne. Le reproche le plus important qu’un juge compétent en ces matières, M. Egger[1], adresse à La Boétie, concerne la difficulté avec laquelle le traducteur se résout à transcrire les mots techniques. La remarque est juste, mais faut-il s’en étonner ? La langue française n’était pas parvenue à un degré suffisant de précision savante, et pour ce motif, l’extrême rigueur scientifique n’était pas de mise alors. La phrase n’avait pas encore cette netteté qu’elle devait acquérir plus tard. Nul écrivain — Rabelais et Montaigne exceptés — n’était maître de la syntaxe et du vocabulaire, et Amyot lui-même, malgré tout son talent, en offre bien souvent la preuve.

Moins heureux que Plutarque, Xénophon ne trouva point, au XVIe siècle, un traducteur qui s’attachât à donner en français le recueil complet de ses œuvres. Montaigne « résignait » cette tâche à la vieillesse d’Amyot, comme plus aisée et plus appropriée à cet âge[2]. Le grand traducteur ne mit pas ce projet à exécution, et il ne nous reste, dans la langue de l’époque, qu’une série de traductions particulières d’ouvrages séparés, qui nous donnent, à

  1. Émile Egger, L’Hellénisme en France, t. I, p. 267.
  2. Essais, liv. II, ch. 4.