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pour qu’on puisse constater le mérite du philologue et la valeur de son œuvre. Ainsi que le note M. Dezeimeris[1], en publiant à nouveau les remarques de La Boétie avec un commentaire qui les rend plus précieuses encore, de semblables travaux étaient plus méritoires au XVIe siècle qu’on ne le croirait tout d’abord. Ils supposent une grande somme d’érudition et de lectures, et chaque esprit était à lui-même le propre auteur de sa science. On ne possédait point alors les lexiques et les index, qui depuis ont singulièrement facilité ces sortes de recherches. Les textes étaient plus que jamais remplis de lacunes, d’erreurs et d’interpolations. Quelle méthode sûre et quel jugement droit ne fallait-il pas avoir pour parvenir ainsi à un résultat satisfaisant ? Telles étaient les qualités maîtresses de La Boétie, et, en constatant maintenant l’ingéniosité de ses conjectures, on ne peut que souscrire à l’éloge flatteur qu’Arnaud de Ferron, bien placé pour le juger à l’œuvre et sur des preuves que nous n’avons plus, décernait à son collaborateur[2], qu’il appelait « un homme vraiment attique et le second Budé de son siècle ».

Quelque honorable qu’elle fût par elle-même, cette besogne n’était qu’une préparation. La Boétie voulut lui aussi tenter de faire passer en français quelques-uns des petits traités de Plutarque. Il en traduisit deux. L’un, les Règles de Mariage, avait eu un succès particulier à cette époque. En moins de trente ans, de 1535 à 1571, date de la publication des traductions d’Amyot et de La Boétie, l’opuscule de Plutarque fut tourné cinq fois en langage commun[3]. On le mit même « en rythme françoise », sans doute pour rendre les préceptes qu’il contenait plus aisés à retenir, et quelques-unes des versions en prose — celles de Jean Lode et de Jean de Marconville — eurent jusqu’à trois et quatre éditions. Le tableau que fait Plutarque de la fidélité conjugale méritait assurément d’être aussi goûté. La Boétie a su laisser à cet aimable dialogue le charme de langage qui le caractérise dans l’original, et reproduire sans les affaiblir les conseils que donne aux jeunes époux le philosophe de Chéronée[4]. Le second des opuscules de Plutarque que La Boétie

  1. Publications de la Société des Bibliophiles de Guyenne, t. l, p. 114.
  2. À la fin même des annotations que La Boétie lui avait adressées sur le traité de l’ Amour.
  3. Par Jean Lode (Paris, 1535, 1536, 1545), par un anonyme qui l’ajoute à la traduction d’un dialogue italien de Sperone (Lyon, 1546, Paris, 1548), en vers par Jean de La Tapie (Paris, 1559), par le poète dramatique J. Grevin (Paris, 1558) et par Jean de Marconville (Paris, 1564, 1565, 1570 et 1571).
  4. Ce petit traité n’a été traduit que deux fois séparément depuis La Boétie. — Manuel des époux ou maximes de conduite dans le mariage, traité de Plutarque traduit par M***. Londres et Paris, 1774 (Avec un Précis de ce qui s’observait dans les mariages des Grecs et des Romains). In-18 de 96 pp. — Les préceptes de mariage, traduits du grec de Plutarque par le Dr L. Seraine. 4e édition, suivie d’un Essai sur l’idéal de l’amour, du mariage et de la famille, revue, corrigée et augmentée. Paris, 1871, in-32 de 182 pp.