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séparent ces deux époques, cette poussée vers la liberté de discussion et d’action s’est ralentie ; on dirait que le flot des idées audacieuses a disparu sous terre, qu’il y roule sans bruit pour réapparaître à son heure. Aussi le XVIIIe siècle était-il mieux à même de comprendre et d’apprécier le Contr’un. Dès les premières années, nous voyons la Servitude volontaire réimprimée prendre à la suite des Essais de Montaigne une place qu’elle garda presque toujours depuis lors. De cette façon, elle fut plus répandue en France : sous la protection de Montaigne, elle pénétra plus avant dans les esprits. Il ne paraît pas cependant qu’on s’y soit beaucoup arrêté. L’influence du Contr’un ne fut pas aussi notable qu’on aurait pu l’attendre. Parfois pourtant, quelque nature d’élite, éprise comme La Boétie de l’amour de l’humanité, se rencontrait avec lui dans un cri éloquent ou dans une pensée généreuse, et il serait intéressant de rapprocher, par exemple, le Contrat social de la Servitude volontaire, de comparer Jean-Jacques avec La Boétie[1].

Malgré ces heureuses exceptions, on peut dire que l’œuvre de La Boétie ne fut pas estimée à sa juste valeur. Presque à la veille de la Révolution, M. de Paulmy en publiait une appréciation qu’il est intéressant de signaler, à cause du moment où elle fut écrite[2]. Elle est sévère, et M. de Paulmy pense que le Contr’un « pouvait tout au plus faire honneur à l’esprit de son auteur ». Il conclut ainsi : « C’est l’ouvrage d’un jeune homme qui avait de l’esprit et avait déjà lu un assez grand nombre de livres ; il écrivait bien pour son temps, mais il raisonnait mal. On peut donner les mêmes louanges,

  1. M. Dezeimeris mentionne (Renaissance des Lettres à Bordeaux, p.42) quelques rencontres frappantes entre La Boétie et Jean-Jacques.
  2. Mélanges tirés d’une grande bibliothèque, t. XVII, p. 121-126. Ce volume, qui parut en 1781, est consacré aux Livres de politique du XVIe siècle.