Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réglée d’avance, des développements prévus comme de nos jours. Les investigations s’y exerçaient sans entraves : plus que partout ailleurs l’amour de la dialectique pouvait s’y donner carrière. Au XVIe siècle, comme on l’a fait remarquer[1], l’enseignement du droit était une prédication plutôt qu’une institution, une sorte de recherche de la vérité, faite en commun par le maître avec ses élèves, et pour laquelle ils se passionnaient ensemble, ouvrant un champ sans fin aux spéculations philosophiques. C’est là un des motifs qui expliquent comment les plus célèbres jurisconsultes de cette époque entrèrent si aisément, portés par la nature même de leurs occupations, dans le mouvement de la Réformation, dont ils furent les plus habiles, les plus forts et les plus héroïques défenseurs.

À cet égard, Anne Du Bourg était l’idéal du professeur. Entre autres rares mérites, il savait faire passer chez ceux qui l’écoutaient les convictions qu’il ressentait lui-même, les convertir aux vérités que la réflexion lui avait fait entrevoir et que sa raison acceptait. Mais il est vrai d’ajouter que Du Bourg n’était pas alors le réformateur qu’il devint plus tard. Entré de bonne heure dans les ordres ecclésiastiques, il est hors de doute qu’en prenant place dans les rangs du clergé, il en partageait les croyances. Nature ardente et enthousiaste, passionnée pour la libre recherche, le jeune professeur n’arriva à la Réforme que poussé par la force même de son esprit inquiet, entraîné par ce besoin de changement et d’examen qui possédait l’Europe entière. Et l’ordre même de ses méditations avivait les tourments de son âme et contribuait à cet événement pour une large part. Serait-il inadmissible d’avancer, après cela, que La Boétie se soit échauffé à un semblable voisinage, sans que ses convictions religieuses y aient été atteintes ? Toute sa vie publique et sa mort même nous sont de sûrs garants de sa fidélité aux croyances orthodoxes. L’ardeur de sa jeunesse ne dut pas moins s’embraser à l’éloquence de ce maître qui allait bientôt finir par la plus courageuse des obstinations. Est-il téméraire de chercher dans le Contr’un l’influence de Du Bourg, agité en tous sens par le besoin d’innovations et de progrès, encore catholique, mais incertain, ébranlé sans doute dans sa foi ? Devrait-on voir dans la prose entraînante de La Boëtie l’écho prolongé jusqu’à nous de l’enseignement d’Anne Du Bourg ?

Pour s’arrêter à cette explication, nous avons déjà dit qu’il ne faut tenir nul compte du témoignage de Montaigne. Peut-être n’en faudrait·il pas non plus tenir un compte excessif. M. Dezeimeris

  1. H. Doniol, Notice historique sur Anne Du Bourg, 1845, in-8o, p. 9.