Page:La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892.djvu/407

Cette page n’a pas encore été corrigée

LETTRE DE MONTAIGNE 321 peur d’auoir eitonné fa femme,il fe reprint& dift: de m’en vois dormir,_bon foir, ma femme, allez vous en. » Voilà le dernier congé qu’il print d’elle. Apres qu’elle fut partie : 40 «Mon frere, me dit~i1, tenez vous au pres de moy, Bil vous plaiit.» Et puis, ou fentant les poinétes de la mort plus q preffantes & poignantes, ou bien la force de quelque medicament chaud qu’on luy auoit fait aualler, il print vne » voix plus efclatante & plus forte, & donnoit des tours dans 45 fon liét auec tout plein de violence: de forte que toute la compaignie commença à auoir quelque efperance, par ce ` que iufques lors la feule foibleiïe nous l’auoit fait perdre. Lors, entre autres chofes,_il fe print à me prier & reprier auec vne extreme afïeétion, de luy donner vne place: de 50 forte que i’eus peur que fon iugement fuit esbranflé. Mefme que luy ayant bien doucement remonitré, qu’il fe laifïoit emporter au mal, & que ces mots n’eitoient pas d’homme bien railis, il ne fe rendit point au premier coup, & redoubla encores plus fort: « Mon frere, mon frere, me refufez vous 55 doncques vne place?» Iufques à. ce qu’il me contraignit de le conuaincre par raifon, &. de luy dire, que puis qu’il refpiroit & parloit, & qu’il auoit corps, il auoit par confe- quent fon lieu. «Voire, voire, me refpondit·il lors, i’en ay, mais ce n’eft pas celuy qu’il me faut: & puis quand tout 6o eft dit, ie n’ay plus d’eftre. — Dieu vous en donnera vn meilleur bientoit, luy fis-ie. — Y fufïe-ie defià, mon frere, me refpondit il; il ya trois iours que i’ahanne pour partir. » Eftant fur ces deftreffes, il m’appella fouuent pour ûinformer feulement ii i’eitois pres de luy. En fin il fe mift vn peu à 65 repofer, qui nous confirma encores plus en noitre bonne efperance. De maniere que fortant de fa chambre, ie m’en reliouïs auecques Madamoifelle de la Boëtie. Mais vne heure apres, ou enuiron, me nommant vne fois ou deux, & ’ puis tirant à foy vn grand foufpir, il rendit l’ame, fur les 70 trois heures du Mercredy matin dix-huitiefme d’aouit, l’an mil cinq cens foixante trois, apres auoir vefcu 32 ans, 9 mois, & x7 iours. I '