LETTRE DE MONTAIGNE 3i7 affez: vous eftes Damoifelle de bon lieu. Il ne vous refte · ique d’y adioufter les biens de l’efprit, ce que ie vous prie vouloir faire. Ie ne vous deffens pas le vice qui eit tant 40 deteftable aux femmes, car ie ne veux pas penfer feulement qu’il vous puiffe tomber en Pentendement: voire ie crois que le nom mefme vous en eft horrible. Adieu ma belle fille. » Toute la chambre eftoit pleine de cris & de larmes, qui n’interrompoient toutesfois nullement le train de fes dif- 45 cours, qui furent longuets. Mais apres tout cela il commanda qu’on fift fortir tout le monde, fauf fagarnifon, ainii nomma il les filles qui le feruoient. Et puis, appellant mon frere de Beau-regard: « Monfieur de Beau-regard, luy dit-il, ie vous mercie bien fort de la peine que vous prenez pour moy: 50 vous voulez bien que ie vous defcouure quelque chofe que i’ay fur le cœur à vous dire. » Dequoy quand mon frere lui euft donné affeurance, il fuyuit ainû 2 « Ie vous iure que de tous ceux qui fe font mis à`la reformation de l’Eglife, ie n’ay iamais penfé qu’il y en ait eu vn feul qui fvy foit mis 55 auec meilleur zele, plus entiere, fincere & ümple affedtion que vous. Et crois certainement que les feuls vices de noz prelats, qui ont fans doute befoing d’vne grande correétion, . & quelques imperfections que le cours du temps a apporté en noftre Eglife, vous ont incité à cela: ie ne vous en veux 60 pour cefte heure demouuoir: car auffy ne prie-ie pas volon- tiers perfonne de faire quoy que ce foit contre fa confcience. _ Mais ie vous veux bien aduertir, qu’ayant refpeét à la bonne reputation qu’a_ acquis la maifon de laquelle vous eftes, par vne continuelle concorde: maifon que i’ay autant chere que ‘ 65 maifon du monde: mon Dieu, quelle cafe, de laquelle il n’eft iamais forty acte que d’homme de bien! ayant refpeét à la volonté de voftre pere, ce bon pere à qui vous deuez tant, de voftre oncle,à voz freres,v0us fuyez ces extremitez : ne foyez point ii afpre & ii violent: accommodez vous à 70 eux. Ne faiétes point de bande dz de corps à part; ioignez vous enfemble.Vous voyez combien de ruïnes ces diffentions ._ ont apporté en ce royaume; & vous refpons qu’elles en
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