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que lui prête Montaigne. « À fin que la mémoire de l’aucteur n’en soit intéressée en l’endroict de ceulx qui n’ont peu cognoistre de prez ses opinions et ses actions, je les advise que ce subject feut traicté par luy en son enfance par manière d’exercitation seulement, comme subject vulgaire et tracassé en mille endroicts des livres. Je ne fois nul doubte qu’il ne creust ce qu’il écrivoit, car il estoit assez consciencieux pour ne mentir pas même en se jouant, et sçay davantage que s’il eust eu à choisir, il eust mieulx aymé estre nay à Venise qu’à Sarlat, et avecques raison. Mais il avoit une aultre maxime souverainernent empreinte en son âme, d’obéir et de se soubmettre très religieusement aux lois sous lesquelles il estoit nay. Il ne feustjamais un meilleur citoyen, ny plus affectionné au repos de son païs, ny plus ennemy des remuements et nouvelletez de son temps ; il eust bien plustost employé sa suffisance à les esteindre qu’à leur fournir dequoy les esmouvoir davantage[1]. »

Montaigne a raison. Par ses incertitudes et par ses inexpériences, la Servitude volontaire est avant tout une œuvre de jeunesse. C’est en considérant surtout ce point de vue que Sainte-Beuve a porté sur ce discours un jugement qui ne serait pas juste, s’il ne l’atténuait aussitôt[2]. Pour le pénétrant critique, le Contr’un, « bien lu, n’est, à vrai dire, qu’une déclamation classique et un chef-d’œuvre de seconde année de rhétorique… un des mille forfaits classiques qui se commettent au sortir de Tite-Live ou de Plutarque, avant qu’on ait connu le monde moderne ou même approfondi la société antique. » Il se hâte d’ajouter que cet opuscule annonce bien de la fermeté et du talent d’écrire. « Dans cet écrit si étroit et si simple d’idées, il y a de fortes pages, des mouvements vigoureux et suivis, d’éloquentes poussées d’indignation, un très beau talent de style : on y sent quelque chose du poète dans un grand nombre de comparaisons heureuses. » C’est là que se trouve la vraie originalité et le vrai mérite du Contr’un[3].

Par l’ensemble de ses qualités et de ses défauts, le Discours de la Servitude volontaire est bien l’œuvre de la Renaissance. Comme tous ses contemporains, La Boétie se livre à l’étude des lettres antiques avec une activité fiévreuse, avec une imprudence

  1. Essais, liv. I, chap. 27.
  2. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. IX, p. 112-128.
  3. Nous ne mentionnerons que pour mémoire l’explication que d’Aubigné donne de la Servitude volontaire, composée par La Boétie « irrité de ce que, voulant voir la salle du bal, un archer de la garde (qui le sentit à l’escbolier) lui laissa tomber sa hallebarde sur le pied, de quoi celui-ci criant justice par le Louvre, n’eut que des risées des grands qui l’entendirent. » (Histoire universelle, Amsterdam, 1726, t. I, p. 670.)