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été le théâtre. Un pamphlet eût-il procédé de la sorte ? Les ouvrages de polémique ne valent qu’autant qu’on en peut aisément pénétrer le sens caché, et en faire une facile application aux hommes et aux choses du moment. Plus tard, quand Hubert Languet publiait, sous le pseudonyme de Junius Brutus, ses Vindiciœ contra tyrannos, il avait le plus souvent en vue les dissensions du royaume de France et la politique de ses rois. Hotman, lui aussi, dans sa Franco-Gallia, cherchait avant tout à établir, par l’étude des chroniques et de l’histoire, que la monarchie française était élective et qu’elle avait dévié de sa première institution.

Est-ce ainsi que procède La Boétie ? Nullement. Il prend bien soin d’écarter de son raisonnement ce qui pourrait faire l’objet d’une application particulière ; il excepte le gouvernement des rois de France avec une attention jalouse et des termes d’une déférence trop sincère pour qu’elle paraisse une échappatoire. Je sais bien qu’on a voulu trouver d’allégoriques accusations dans un passage où l’auteur s’indigne de voir le peuple « souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés… d’un seul hommeau, le plus souvent le plus lache et femelin de la nation ; non pas accoustumé à la poudre des batailles, mais encore à grand peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empesché de servir vilement a la moindre femmelette ». C’est de la prophétie faite après coup et qu’expliquent seuls des événements de beaucoup postérieurs, qu’on ne pouvait prévoir alors. Une femmelette, Diane de Poitiers ? Elle, que chacun s’accorde à regarder comme femme de caractère et d’une volonté tenace. Un diplomate vénitien, Marino Cavalli, reconnaît que la sénéchale avait réussi à communiquer à son amant encore dauphin ces qualités de fermeté qu’elle possédait elle-même à un degré éminent[1]. Quant à Henri II, je ne sais si l’on pouvait déjà constater son goût pour les tournois[2]. La Boétie faisait-il allusion au duel

  1. Relations des ambassadeurs véniliens sur les affaires de France au XVIe siècle, recueillies et traduites par M. N. Tommaseo (Documents inédits sur l’histoire de France), t. 1, p. 287. (Relation de Marino Cavalli.)
  2. La relation ci-dessus mentionnée de Marino Cavalli reconnaît qu’Henri II aimait à assister aux exercices militaires, mais l’ambassadeur vénitien ajoute aussitôt : « On estime généralement son courage dont il a déjà donné des preuves à Perpignan et en Champagne. » (Ibid.)