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croissoient d’heure à autre », et il fut pris d’une défaillance, suivie d’une syncope prolongée. Tout espoir de guérison l’abandonna alors. Il cessa de s’abuser sur son état présent et en considéra l’issue avec courage. Le samedi 14 août, il fit son testament et mit en ordre la dévolution de ses biens, pour ne plus s’occuper que des affaires de sa conscience et philosopher jusqu’au dernier moment[1]. Il n’eut garde d’y manquer. Il vit approcher la mort sans peur comme sans forfanterie, Pattendant ainsi qu’il le disait « gaillard et de pié coy », et devisa avec tous jusqu’à la fin. Montaigne nous a conservé l’écho ému de ces suprêmes entretiens. Ce fut vraiment le langage d’un philosophe qui sentait pourtant qu’il aurait pu être un jour utile à la chose publique. Puis, le 18 août, le mercredi vers les trois heures du matin, La Boétie expira avec la sereine tranquillité d’une âme qui ne faillit jamais à son devoir. Ses parents et ses meilleurs amis se pressaient autour de la funèbre couche : son oncle Étienne, sa femme, sa belle-fille et sa nièce, Mademoiselle de Saint-Quentin, Michel de Montaigne et le sieur de Beauregard l’assistaient au dernier moment. Il était âgé seulement de trente-deux ans, neuf mois et dix-sept jours.

  1. « Il dicta si viste son testament, qu’on estoit bien empesché de le suyvre, » dit Montaigne. — Montaigne se trompe en donnant à ce testament la date du dimanche 15 août : c’est le samedi 14 qu’il fut confectionné, ainsi qu’on peut s’en convaincre en le consultant à l’appendice, ou nous l’avons intégralement reproduit. Mais il ne faut pas s’étonner outre mesure de cette légère erreur, car Montaigne, comme il éprend soin de nous en prévenir, avait « la mémoire fort courte et débauchée encore par le trouble que son esprit auoit à soulïrir d’une si lourde perte et si importante ».