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Ce fut là le dernier acte de la vie publique du jeune conseiller dont le souvenir ait remonté jusqu’à nous. Le 2 juin 1563, deux mois et demi seulement avant sa mort, nous voyons encore Estienne de La Boétie servir de témoin au testament de Raymond Eyquem, seigneur de Bussaguet et oncle de Michel de Montaigne, qui y signe avec lui[1]. Le 8 août suivant, il ressentait, « jouant en pourpoint soubs une robbe de soye avec Monsieur d’Escars, » les premières attaques du mal qui devait Pemporter. « C’estoit un flux de ventre avec des tranchées, » avant-coureurs d’une dysenterie, qui devait s’aggraver rapidement. On croit assez généralement que c’étaient là les symptômes de la peste qui sévissait si fréquemment alors. Justement il y en avait quelques cas dans le voisinage de La Boétie, et Montaigne supposa que son ami en avait rapporté le germe du Périgord et de l’Agenais, où il était allé récemment « et où il avoit laissé tout empesté[2]. »

Cependant La Boétie voulut partir le lendemain pour aller se reposer en Médoc[3] ; là se trouvaient les terres de sa femme et il pensait que l’air pur des champs ne ferait que hâter son rétablissement. Mais les douleurs étaient trop fortes: il ne put, ce premier jour, qu’aller jusqu’à Germignan, petit village de la paroisse du Taillan, à quelques kilomètres seulement de Bordeaux, et dut s’arrêter au logis de Richard de Lestonnac, son collègue au Parlement et le beau·frère de Michel de Montaigne. C’était là qu’il devait mourir. Le mal s’était subitement aggravé et il lui était maintenant impossible de quitter cet endroit. « Son llux de san et ses tranchées qui l’affoiblissoient encore plus,

  1. Théophile Malvezin, Michel de Montaigne, son origine et sa famille, p. 286.
  2. La peste et la famine éclatèrent en Périgord vers le milieu de l’année. « À Sarlat, dit Jean Tarde dans sa Chronique (éd. de Gérard, p. 240), tous les habitants quittèrent la ville, sauf un consul et quelques chirurgiens qui demeurèrent pour la police et conservation de la ville. »
  3. Tous les détails que nous donnons sont tirés, — est-il besoin de le dire ? — de l’admirable lettre que Montaigne écrivit à son père sur le trépas et les derniers moments de son ami. Cette lettre a été étudiée, au point de vue exclusivement médical, par M. jules Drouet, sous ce titre : Quelques détails sur la mort d’Étienne de La Boétie, dans l’Union médicale du jeudi 17 août 1865.