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ses poésies latines, La Boétie a laissé entrevoir sa pensée sur ce sujet, et il l’a formellement exposée à son lit de mort. À son sentiment, les vices des prélats avaient besoin d’être corrigés, et le cours du temps avait apporté bien des imperfections dans l’Église romaine. Mais aussi La Boétie ne pouvait contempler sans tristesse les ruines dont les discussions religieuses couvraient le royaume, et il croyait, en mourant, que ces discordes feraient de bien grands ravages encore. Exacte prophétie, que les années, hélas ! vérifièrent trop ! S’il ne voulait pas que l’on fît quoi que ce soit contre sa conscience, il exigeait en revanche que chacun obéît aux lois du pays qui lui avait donné le jour. Ne sont-ce pas là les deux principes fondamentaux de toute sage politique ? De leur observation simultanée, dans un État, naît naturellement cette tolérance, qui fait les nations vraiment prospères, et que l’âme de La Boétie était assez haute pour entrevoir et pour souhaiter.

À Bordeaux, comme ailleurs, l’entente entre les huguenots et les catholiques ne pouvait être de longue durée. D’abord, Burie, avec son amour de la justice et son grand sens pratique, cherche à rendre les compétitions le plus pacifiques qu’il peut. Mais les massacres et les représailles ne tardèrent pas à recommencer avec plus de violence que jamais. Le Parlement reprend, à l’endroit des réformes, sa sévérité d’autrefois, et alors s’ouvre à nouveau l’ère des persécutions et des vengeances.

Nous ne voyons plus qu’une fois La Boétie essayant de réprimer et d’arrêter la révolte des huguenots. C’était en décembre 1562. Les réformes conduits par Armand de Clermont et par ses lieutenants avaient pris Bergerac et semé l’effroi dans toute la contrée environnante. Le Parlement voyant l’effervescence gagner de proche en proche, et redoutant un semblable coup de main contre la ville de Bordeaux elle-même, décida l’enrôlement de douze cents hommes « pour tenir la ville en plus grande asseurance » (10 décembre 1562). Douze conseillers furent désignés et chacun d’eux prit le commandement de cent soldats, au préalable enrôlés et équipes par eux, de concert avec les jurats. Chaque compagnie de cent hommes était elle-même subdivisée en quatre fractions de vingt-cinq hommes, placés sous les ordres directs d’un officier. Au nombre des conseillers chargés de ce périlleux devoir, figure le nom d’Estienne de La Boétie, car la Cour savait qu’elle pouvait compter sur son amour de la justice et sur son energie à la faire respecter[1].

  1. E. Gaullieur, Histoire de la Réformation à Bordeaux, t. I, p. 519).