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D’autre part, plusieurs des données propres au Sâṃkhya classique — telle la multiplicité infinie des âmes — ne s’y manifestent pas ; certaines énumérations caractéristiques de la doctrine y accusent des variantes ou montrent un état sensible encore de fluidité. L’usage flottant de termes significatifs comme mâyâ, prakṛiti, yoga, etc., donne à penser qu’ils n’étaient pas, à l’époque de la rédaction, à tout le moins pour le milieu où elle s’élabora, rigoureusement stabilisés dans un emploi technique défini[1]. Autant de motifs de plus qui interdisent de chercher ici un aménagement calculé de théories antérieurement achevées et ennemies.

De bonne heure, un vif sentiment de l’instabilité, de la fragilité des choses, inspire à l’âme hindoue des vues de renoncement. Des lignées de Yogins enseignent, en même temps qu’une moralité sévère, les mérites d’une ascèse mesurée, d’une existence détachée de tout calcul terrestre. Pratiques de tendance, volontiers dédaigneuses des rites védiques, elles ne pouvaient manquer de chercher un point d’appui dans des données théoriques. La Bhagavadgîtâ est visiblement sortie de quelqu’une de ces confréries. Elles constituaient

  1. Il est, au reste, remarquable que les manuels classiques des systèmes soient relativement assez récents.