échapper à l’œil du maître. Quel est l’inévilable résultat de ces habitudes ? Notre jeune intelligence s’est impressionnée de l’esprit de notre idiome ; nous calquons ; nos tours sont impropres et nous oublions que l’homogénéité de la pensée doit être la première condition du traducteur. Par la même cause notre prononciation est relativement plombée ou chuintée ; et notre aspiration trop gutturale[1]. C’est aux sillons vicieux tracés dans l’organe vocal, que nous devons les reproches que nous adressent les Français[2]. En m’exprimant sans métaphore, sans préparation oratoire, je dois espérer que mes bonnes intentions seront comprises : ce n’est pas par euphémisme que j’emploie le pronom collectif nous ; avec tous les Wallons, je sais combien ils sont pénibles les efforts que nous
- ↑ Voy. H.
- ↑ Ma préface était écrite, quand un article de la Gazette des Tribunaux m’a tombé sous la main. Comme Wallon et pour beaucoup d’autres raisons, je devais payer à son auteur le tribut d’éloges qu’il mérite : j’aurais souhaité qu’un autre eût pris l’initiative. Cet article, dont je donne quelques fragments comme hors d’œuvre, est intitulé : Coup-d’œil sur la magistrature et l’éloquence judiciaire en Belgique.
Je laisse parler monsieur Mat. Laurent.
« Le malheur du barreau de Liége est de n’avoir ni tradition ni passé. La langue est en généra négligée, la prononciation barbare est hérissée de fautes.
» L’avocat qui ne parle pas avec pureté offense l’oreille ; et se met dans l’impossibilité de charmer son auditoire.
» Jusqu’à présent la Belgique n’a point eu d’hommes vraiment éloquents ; les chambres, le barreau n’ont présenté que des orateurs disserts. La parole ravissant l’âme soulevant une assemblée, n’a pas encore retenti parmi nous. »
Le malheur du barreau. Quelle malheureuse expression !
La langue est en général négligée, la prononciation barbare est hérissée de fautes.
Mais notre critique dit, dans le même article, que les plaidoieries ont lieu en français ; donc la langue n’est pas négligée ; il fallait : L’étude de la langue française est en général négligée. — La prononciation barbare est hérissée de fautes. Hérissée de fautes ne peut se dire de l’émission matérielle des mots ; exemple : Très-certainement le style de M. Laurent est hérissé de fautes ; mais je ne sais si sa prononciation est vicieuse. Le second membre de la phrase n’est qu’une redondance barbare.
« L’avocat qui ne parle pas avec pureté offense l’oreille, et se met dans l’impossibilité de charmer son auditoire. »
Voici l’esprit et la lettre de cette espèce d’enthymème.