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l’observation intelligente du caractère. Il doit redouter l’esprit littéraire, qui fait si souvent le peintre s’écarter de la vraie voie : l’étude concrète de la nature, pour se perdre trop longtemps dans des spéculations intangibles.

Le peintre doit se consacrer entièrement à l’étude de la nature et tâcher de produire des tableaux qui soient un enseignement. Les causeries sur l’art sont presque inutiles. Le travail qui fait réaliser un progrès dans son propre métier est un dédommagement suffisant à l’incompréhension des imbéciles. Le littérateur s’exprime avec des abstractions tandis que le peintre concrète, au moyen du dessin et de la couleur, ses sensations, ses perceptions.

On n’est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature ; mais on est plus ou moins maître de son modèle, et surtout de ses moyens d’expression. Pénétrer ce qu’on a devant soi, et persévérer à s’exprimer le plus logiquement possible.


Tel est Cézanne, telle est sa leçon d’art. Comme on le voit, il se différencie essentiellement de l’impressionnisme, dont il dérive, mais dans lequel il ne put pas emprisonner sa nature. Loin d’être un spontané, Cézanne est un réfléchi, son génie est un éclair en profondeur. Il résulte donc que son tempérament très peintre l’a conduit à des créations décoratives nouvelles, à des synthèses inattendues ; et ces synthèses ont été en vérité le plus grand progrès jailli des aperceptions modernes ; car elles ont terrassé la routine des écoles, maintenu la tradition et condamné la fantaisie hâtive des excellents artistes dont j’ai parlé. En somme, Cézanne, par le fondé de ses oeuvres, s’est prouvé le seul maître sur lequel l’art futur pourrait greffer sa fruition. Combien peu appréciées pourtant furent ses découvertes ! Considérées à tort par les uns, à cause de leur inachevé, comme des recherches sans aboutissement ; par les autres comme des étrangetés sans avenir, dues à l’unique fantaisie d’un artiste maladif ; par lui-même, devant qui un idéal d’absolu se dressait, comme mauvaises plutôt que bonnes, sans doute de dépit de s’y voir trahi (il en détruisit un grand nombre, n’en montra aucune) telles qu’elles sont, elles constituent cependant le plus bel