Ventroux, de même. — Eh bien ! tant mieux ! Ça te servira peut-être de leçon !
Clarisse, indignée. — "Tant mieux ! " il est content ! il est content ! (Affolée.) Mon Dieu, une guêpe ! pourvu qu’elle ne soit pas charbonneuse.
Ventroux, allant s’asseoir sur la chaise à droite de la table, tandis qu’Hochepaix, pour ne pas se mêler à la conversation, est remonté et affecte d’examiner les tableaux pour se donner une contenance. — Mais non ! mais non !
Clarisse, allant à son mari. — Oh ! Julien ! Julien, je t’en prie ! (Faisant volte-face de façon à lui présenter la croupe et tout en faisant mine de relever sa chemise.) Suce-moi, veux-tu ? Suce-moi !
Ventroux. — Moi ! (La repoussant.) Non, mais tu ne m’as pas regardé !
Clarisse. — Oh ! Julien ! Julien ! Sois bon ! (Revenant à la charge.) Suce-moi, voyons ! Suce-moi !
Ventroux, la repoussant à nouveau, tout en se levant pour descendre à gauche. — Mais fiche-moi la paix, toi !
Clarisse. — Mais suce-moi, enfin ! tu l’as bien fait à mademoiselle Dieumamour !
Ventroux, revenant vers Clarisse. — Mais d’abord, elle, c’était à la nuque, ça n’était pas au… Et puis c’était une mouche ! c’était pas une guêpe !
Il remonte au fond.
Clarisse — Mais une guêpe, c’est aussi dangereux ! Encore il y a deux jours, dans le journal, tu as vu qu’un monsieur était mort d’une piqûre de guêpe.
Ventroux. — Mais ça n’a aucun rapport ! C’est en buvant ! Il est mort étouffé.
Clarisse, près du fauteuil à côté de la cheminée. — Mais je vais peut-être étouffer. Ah ! j’étouffe ! j’étouffe !
Ventroux, peu troublé, en s’asseyant sur le canapé. — Mais non ! mais non ! C’est une idée !
Clarisse. — Si ! Si ! (Se laissant tomber sur le fauteuil, et se relevant aussitôt en poussant un cri de douleur.) Ah ! (Allant à son mari.) Oh !… Je t’en supplie, Julien ! (Se retournant comme précédemment de façon à lui présenter sa croupe.) Suce-moi, voyons ! suce-moi !
Ventroux, la repoussant no 2. — Mais non ! mais non ! tu m’embêtes !
Clarisse, affolée. — Oh ! sans cœur, va ! sans cœur ! (Ne sachant à quel saint se vouer.) Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! (Apercevant Hochepaix redescendu à l’extrême gauche et toujours plongé dans l’examen des bibelots.) Ah !… (Descendant vers lui.) Monsieur Hochepaix !…
Hochepaix, se retournant vers elle. — Madame ?…
Clarisse, se retournant pour lui présenter sa croupe. — S’il vous plaît, monsieur Hochepaix ! s’il vous plaît !
Hochepaix. — Moi !
Ventroux, bondissant sur elle et l’entraînant par le poignet sans changer de numéro. — Ah çà ! tu n’es pas folle ? Tu vas demander à monsieur Hochepaix, maintenant ?
Clarisse. — Eh ! bien, quoi ? J’aime mieux ça que de risquer la mort !
Hochepaix. — Certainement, Madame, je suis très honoré, mais vraiment !…
Clarisse, revenant à Hochepaix. — Monsieur Hochepaix, au nom de la charité chrétienne !
Ventroux, la saisissant par le bras et la faisant pivoter sur elle-même. — Non, mais t’as pas fini ?
Clarisse, qui par ce mouvement se trouve tournée pour se présenter à Hochepaix comme il convient dans l’occurrence. — S’il vous plaît ?… S’il vous plaît ?
Hochepaix. — Je vous assure, Madame, vraiment ! sans cérémonie !
Ventroux, éclatant, et l’entraînant au milieu de la scène toujours sans changer de numéro. — Ah ! et puis fiche-nous la paix, avec tes "s’il vous plaît !… S’il vous plaît !…" Va faire ça toi-même !
Il la lâche et gagne la droite.
Clarisse, avec des larmes dans la voix. — Mais, est-ce que je peux !
Ventroux, revenant sur elle. — Eh bien ! Va mettre une compresse ! et ne nous rase pas ! "S’il vous plaît ! s’il vous plaît ! "
Clarisse, lui crispant ses mains devant la figure. — Ah ! Va-t’en, toi ! Va-t’en ! je ne veux plus te voir ! et si je meurs, que ma mort retombe sur toi !
Ventroux, s’asseyant sur le fauteuil à droite de la scène. — Eh bien ! c’est ça ! c’est entendu !
Clarisse, au moment de sortir au fond. — Voilà des hommes, tenez ! Voilà des hommes ! (Sortant précipitamment par le fond gauche, en appelant.) Victor ! Victor !
Elle referme la porte sur elle.
Scène VII
Ventroux, effondré sur son fauteuil. — Non, elle est à lier, ma parole ! elle est à lier !
Hochepaix, debout devant la table de gauche, après une seconde d’hésitation. — Monsieur Ventroux !
Ventroux. — Quoi ?
Hochepaix. — Vous m’excuserez, n’est-ce pas, de n’avoir pas cru devoir…
Ventroux, n’en croyant pas ses oreilles. — Quoi ?
Hochepaix. — Mais vraiment, nous ne sommes pas encore assez liés !…
Ventroux. — Mais comment ! Ah ! ben !
Hochepaix. — N’est-ce pas ? C’est ce que j’ai pensé.
Ventroux. — Il n’aurait plus manqué que ça !…
Voix de Clarisse — Oui ; eh ! bien, je vais un peu le dire à Monsieur ! je vais un peu le dire à Monsieur !
Ventroux. — Allons bon, qu’est-ce qu’elle a fabriqué encore ?
Scène VIII
Clarisse, surgissant et dos au public, à Victor qui la suit. — Vous êtes tous des lâches ! (Se tournant en même temps vers son mari et vers Hochepaix.) Vous êtes tous des assassins !… Et Victor ne vaut pas mieux que vous !
Ventroux. — Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Clarisse, derrière le canapé. — Lui non plus n’a pas voulu sucer !
Ventroux, bondissant. — Victor !
Victor — J’ai pas osé, Monsieur !
Ventroux. — Enfin, nom d’un chien ! est-ce que tu vas aller comme ça t’offrir à sucer à tout le monde ?
Clarisse. — Oh ! ça m’élance ! ça m’élance ! Je dois avoir une fluxion.
Ventroux. — Eh ! bien, si tu as une fluxion, va chez le dentiste !
Clarisse. — Mais c’est pas dans la bouche !
Ventroux. — Eh ben ! va chez le médecin !