Voix de Clarisse. — Pourquoi ?
Voix de Ventroux. — Mais je t’en prie ! Voyons, regarde-toi ! il y a ton fils !!
Voix de Clarisse. — Eh ! ben, oui ! ben oui ! le temps de prendre ma chemise de nuit, et…
Voix de Ventroux. — Mais non ! Mais non ! Je t’en prie, voyons ! tu es folle ! On te voit. Va-t’en !
Voix de Clarisse. — Ah ! Et puis, tu m’ennuies ! Si tu dois faire des scènes…
Voix de Ventroux. — Ah ! non, tiens ! J’aime mieux m’en aller ! plutôt que de voir des choses… ! Et puis, toi, Auguste, qu’est-ce que tu as besoin de traîner dans la chambre de ta mère ?
Victor, qui, depuis un moment, s’est arrêté de son travail pour prêter l’oreille — avec un hochement de tête. — Ils se bouffent !
Voix de Ventroux. — Allez, fiche-moi le camp !
Voix du fils de Ventroux. — Oui, papa.
Ventroux, paraissant en scène et faisant claquer la porte sur lui. — Non ! Ce manque de pudeur !… (A Victor.) Et puis, qu’est-ce que vous faites là, vous ?
Victor, toujours sur son escabeau. — J’arrange les cordons de tirage.
Ventroux. — Vous ne pouvez pas vous en aller quand vous entendez que je… que je cause avec Madame ?
Victor. — Je voulais finir, Monsieur.
Ventroux. — Oui ! pour mieux écouter aux portes ?
Victor. — Aux portes !… Je suis à la fenêtre.
Ventroux. — C’est bon ! allez-vous en !
Victor, abandonnant son store, qu’il laisse tiré grand ouvert, et descendant de son escabeau. — Oui, Monsieur.
Il fait basculer les marches inférieures de l’escabeau, de façon à le replier.
Ventroux. — Et emportez votre escabeau !
Victor. — Oui, Monsieur.
Il sort en emportant l’escabeau.
VentrouxD — Il faut toujours qu’on l’ait dans les jambes, celui-là
Il descend et, maussade, va s’asseoir à droite de la table.
Scène II
Clarisse, surgissant en coup de vent de sa chambre. Elle est en chemise de nuit, mais elle a son chapeau et ses bottines. Descendant vers son mari. — Ah çà ! veux-tu me dire ce qui t’a pris ? après qui tu en as ?
Ventroux, le coude droit sur la table, le menton sur la paume de la main, sans se retourner. — Apparemment après qui le demande ! (Se retournant vers sa femme et apercevant sa tenue.) Ah ! non ! non ! tu ne vas pas aussi te promener dans l’appartement en chemise de nuit !… avec ton chapeau sur la tête !
Clarisse. — Oui, eh bien ! d’abord, je te prie de m’expliquer… J’enlèverai mon chapeau tout à l’heure.
Ventroux. — Eh ! ton chapeau ! je m’en fiche pas mal, de ton chapeau ! C’est pas après lui que j’en ai !
Clarisse. — Enfin, qu’est-ce que j’ai encore fait ?
Ventroux. — Oh ! rien ! rien ! tu n’as jamais rien fait !
Clarisse, remontant vers le canapé. — Je ne vois pas !…
Ventroux, se levant. — Tant pis, alors ! car c’est encore plus grave, si tu n’as même plus conscience de la portée de tes actes.
Clarisse, s’asseyant sur le canapé. — Quand tu voudras m’expliquer !…
Ventroux. — Alors, tu trouves que c’est une tenue pour une mère d’aller changer de chemise devant son fils ?
Clarisse. — C’est pour ça que tu fais cette sortie ?
Ventroux. — Evidemment, c’est pour ça !
Clarisse. — Eh ! bien, vrai ! J’ai cru que j’avais commis un crime, moi.
Ventroux. — Alors, tu trouves ça naturel ?
Clarisse, avec insouciance. — Pffeu ! Quelle importance ça a-t-il ? Auguste est un enfant… Si tu crois seulement qu’il regarde, le pauvre petit ! Mais, une mère, ça ne compte pas.
Ventroux, tranchant. — Il n’y a pas à savoir si ça compte ; ça ne se fait pas.
Il remonte au-dessus du canapé.
Clarisse. — Un gamin de douze ans !
Ventroux, derrière elle. — Non, pardon, treize !
Clarisse. — Non, douze !
Ventroux. — Treize, je te dis ! il les a depuis trois jours.
Clarisse. — Eh ! bien, oui, trois jours ! ça ne compte pas.
Ventroux, redescendant au milieu de la scène. — Oui, oh ! rien ne compte avec toi.
Clarisse. — Si tu crois qu’il sait seulement ce que c’est qu’une femme !
Ventroux. — En tout cas, ce n’est pas à toi à le lui apprendre ! Mais, enfin, qu’est-ce que c’est que cette manie que tu as de te promener toujours toute nue ?
Clarisse. — Où ça, toute nue ? J’avais ma chemise de jour.
Ventroux. — C’est encore plus indécent ! On te voit au travers comme dans du papier calque.
Clarisse, se levant et allant à lui. — Ah ! Voilà ! Voilà, dis-le donc ! Voilà où tu veux en venir : tu voudrais que j’aie des chemises en calicot !
Ventroux, abasourdi. — Quoi ? Quoi des chemises en calicot ? Qui est-ce qui te parle d’avoir des chemises en calicot ?
Clarisse. — Je suis désolée, mon cher ! mais toutes les femmes de ma condition ont des chemises en linon, je ne vois pas pourquoi j’aurais les miennes en madapolam.
En parlant, elle passe no 1.
Ventroux, descendant à droite. — Ah ! bon ! les voilà en madapolam, à présent.
Clarisse. — Ah ! ben, merci ! Qu’est-ce que diraient les gens !
Ventroux, se retournant à ce mot. — Les gens ! Quels gens ? Tu vas donc montrer tes chemises aux gens ?
Clarisse, faisant brusquement volte-face et marchant sur son mari. — Moi !… Moi, je vais montrer mes chemises aux gens ! Tu m’accuses de montrer mes chemises aux gens ! Voilà où tu en arrives !
Ventroux, appuyant sur chaque "non". — Mais non ! Mais non ! Ne fais donc pas toujours dévier la conversation pour prendre l’offensive ! Je ne t’accuse de rien du tout ! Je ne te demande pas d’avoir des chemises en calicot, ni en madapolam ! Je te demande simplement, quand ton fils est dans ta chambre, d’avoir la pudeur de ne pas te déshabiller devant lui !