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l’âme russe, les tueries répugnent à ce peuple, de son naturel pacifique et doux.

L’antimilitarisme, en France, tout platonique, entrant à peine dans sa première phase, qui est celle de propagande, émeut l’opinion et attire sur les propagandistes de cette idée les courroux de Thémis ; en Russie, il y a plus d’un siècle, il est mis en pratique parmi les dissidents rationalistes-Doukhobors, Molokaniés, Stundistes — qui compte aujourd’hui plus de vingt millions, qui érigent le refus de service militaire en dogme religieux. La prison, l’exil, les menaces de mort même, rien ne peut ébranler leur foi en ce dogme et vaincre leur aversion de tuer.

On sait l’attitude des réservistes lors de leur mobilisation pendant la guerre avec le Japon, et qui n’appartiennent pas pourtant à ces dissidents. Pour les rappeler sous les drapeaux, il a fallu mettre la police sur pied. Celle-ci faisait irruption dans leur domicile la nuit et les conduisait au poste où ils demeuraient en état d’arrestation, en attendant d’être dirigés à la caserne. À présent, à leur rentrée dans les foyers, on les tient pour démoralisés et le gouvernement s’en trouve embarrassé, attendu qu’il ne pouvait pas les laisser en Mandchourie et que d’autre part il voit un danger à les faire réintégrer leurs villages respectifs où la révolte gronde et où les paysans attendent avec impatience le retour des leurs. « Que les nôtres reviennent seulement » ne cessent-ils de répéter.

Le chiffre élevé des prisonniers de guerre faits par les Japonais est dû en grande partie, à la bonne volonté des soldats russes et des officiers eux-mêmes qui ne voulaient pas combattre. Ceux-ci se rendaient en l’Extrême Orient avec la résolution prise d’avance de se rendre et on a vu des régiments s’en aller vers les Japonais, au premier contact avec l’ennemi. Des officiers et même des soldats désertaient en se rendant à l’étranger, sans parler d’un très grand nombre de jeunes gens qui s’attendaient à être enrôlés. Et ce n’est un secret pour personne que les équipages de l’escadre de Niebogatoff partirent pour la guerre avec la même intention ferme de se rendre à la première rencontre, ce qui a eu lieu lors de la bataille de Tschouchima.

Faut-il insister sur les nombreux cas de désobéissance à leurs chefs de tirer sur les grévistes et du refus des officiers eux-mêmes de conduire les troupes pour « rétablir l’ordre ». Les