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Néanmoins, comme cela arrive toujours, le gouvernement, en sévissant contre les socialistes eut en même temps une large part dans la propagande de leurs idées et mieux que personne a servi la cause elle-même. Les nombreux procès, les excès de rigueur dont usaient les autorités vis-à-vis des révolutionnaires, les condamnations et les exécutions de ces jeunes hommes et ces jeunes femmes éveillèrent l’intérêt chez le public, qui apprit ainsi à connaître leurs aspirations, et imprimèrent à leur doctrine l’autorité, que corrobore le martyre. La pitié qui est l’élément essentiel de l’âme russe et la répulsion instinctive que ce peuple a toujours éprouvé pour la peine capitale l’emportèrent ; l’effet que ces mesures excessives produisit sur le public fut tout à fait contraire à celui qu’escomptait le gouvernement. Lorsque Sophie Perovskaïa fut promenée à travers les quartiers de Pétersbourg, sur le chariot d’ignominie, qui devait la conduire à la potence, les mères la montraient à leurs enfants en pleurant et les vieillards s’inclinaient profondément sur son passage en se découvrant.

Après cet échec le gouvernement renonça aux exhibitions patriotiques de ce genre il fut interdit à la presse de parler des « politiques ». Rien de ce qui se passait dans les prisons ne transpirait plus au dehors. Les procès politiques étaient jugés pour ainsi dire à huis clos, car le public qui y était admis se composait de quelques personnalités officielles. Les journaux n’en publiaient pas les comptes-rendus. Mais les actes terroristes, inspirés par la vengeance et les meurtres politiques, accomplis en plein jour ou mépris des potences, parlaient par eux-mêmes sans qu’il y eut besoin d’autres commentaires, et de bouche en bouche ces récits se transmettaient rapidement jusqu’aux confins les plus éloignés de l’empire, où ils étaient écoutés avec attention. Et des propagandistes d’un nouveau type surgirent des masses populaires elles-mêmes.

Ces nouveaux propagateurs des idées émancipatrices les interprétaient à leur façon sous une forme allégorique et dans un langage imagé, cher au peuple russe. Un de ces orateurs populaires se plaisait à raconter devant son auditoire cette fable : « Il y avait un tsar — le peuple russe appelle tout souverain tsar — qui ordonna un jour d’élever autour de son royaume un mur très épais et très haut. De cette manière, pensait-il, son peuple ne pourra rien voir de ce qui se passe au