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Les cachots de la forteresse Pierre-et-Paul exceptionnellement réservés aux détenus politiques, quelque peu déserts dans la dernière période de libéralisme, se peuplèrent rapidement et bientôt aussi toutes les maisons d’arrêt, voire les postes de police furent combles. Et on vit, pour la première fois, en la Sainte Russie, se dérouler des procès socialistes. On les appelait procès politiques, tant la conception même du socialisme était encore étrangère aux esprits et aux autorités judiciaires elles-mêmes.

Cependant, les arrestations en masse qui présentaient un fait nouveau dans la vie russe, déconcertaient le public, qui voyait des personnes ayant une notoriété et des jeunes gens appartenant à des familles estimables, traiter tout comme les plus vulgaires malfaiteurs. Car, la prison, alors, n’avait pas la popularité qu’elle a conquise depuis en Russie, où elle est devenue comme une institution indispensable pour parfaire l’éducation du citoyen, et son nom seul en évoquant l’idée du crime, éveillait les susceptibilités et inspirait de l’horreur. Dans la société on considérait encore la détention comme une honte ; c’était pour les familles un mal irréparable de voir les siens sur le banc des accusés, qui à leurs yeux était le banc d’infamie, mais les accusés eux-mêmes voyaient dans les procès, dans lesquels ils devaient comparaître, un puissant moyen de propagande.

Et on pouvait voir des pères, auxquels la mort avait prématurément arrachés un enfant chéri, se résigner à la pensée que celui-ci échappait, au moins, à la prison et à toutes les souffrances qui dans la suite lui étaient réservées. Mais qui saurait dire le nombre de ces existences sur lesquelles dans l’épanouissement de leur force s’est fermée la porte de prison pour ne s’ouvrir que devant leurs cadavres, emportés au cimetière dans le secret, à l’ombre de la nuit sans que leurs proches puissent les reconduire à leur dernière demeure, sans qu’une main amie puisse jeter dans leur tombe une poignée de terre… Seuls les archives de la police et de la gendarmerie révéleront un jour, peut-être à quelque historien scrupuleux les mystères des prisons, qui ont renfermé dans leurs murs des détenus politiques. Déjà les récits des survivants en disent assez…

Tandis que les « pères » s’abandonnaient à la douleur, demeuraient impassibles ou mieux encore, se rangeaient du