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réveil de la conscience civique chez la nation, réveil qui se traduisit dans la littérature comme dans la vie sociale, effraya le réformateur. Il se tourne vers la réaction, et déjà dans la deuxième moitié de son règne, cherche à atténuer la portée des réformes qu’il avait décrétées et à enrayer, par des mesures restrictives, les progrès rapides réalisés par la société russe. Il recule, croyant avoir donné trop et dans son aveuglement il s’applique à démolir peu à peu l’œuvre grandiose, à peine commencée, par laquelle il avait si heureusement inauguré son règne. Or, le peuple confiant en sa politique réformatrice lui a attribué le titre de Libérateur, déjà après l’abolition du servage, qui était la base même de l’absolutisme, depuis irrévocablement condamné — réforme qu’entre toutes réclamaient l’équité et l’esprit moderne.

C’est aussi à cette époque que les idées socialistes commencent à se faire jour sur toute l’étendue de l’empire. Elles trouvent le terrain tout préparé, déblayé des préjugés sociaux par le nihilisme qui au cours de deux à trois ans a soufflé sur toute la Russie réformée. Véritable précurseur du socialisme, il manquait pourtant d’élément constitutifs et de pensée directrice nécessaire pour élaborer une doctrine ; il flétrissait le mal sans indiquer le remède à y apporter. Son rôle était tout de négation. Il dénonçait les préjugés, depuis des siècles enracinés dans les esprits, désavouait l’Église avec ses rites et ses sacrements, de même que toutes les institutions surannées, consacrées par l’usage, et qui étaient en contradiction avec les conceptions modernes de la Société. Il reniait tout : autorité, privilèges de la naissance et de la fortune, propriété, tout luxe, le confort même et jusque la Beauté dans son expression artistique. Par contre, il vouait un culte à la science qui seule devait guider l’Humanité, tel un phare projetant sa lumière dans les profondeurs de la nuit sombre. C’était un cri de révolte, une protestation contre l’obscurantisme conservateur, contre l’injustice sociale que les forts faisaient peser sur les faibles, contre toute autorité. Bien qu’éphémère, le nihilisme présentait un chaînon entre l’ordre de choses, qui a vécu, qui reposait sur l’étouffement de libre arbitre chez l’individu, et les aspirations nouvelles, tendant à donner libre essor à son initiative et à le rendre maître de ses destinées.

Au début, le socialisme se manifeste d’une façon presque