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recherche de la justice et de la vérité, vu l’absence complète des écoles laïques primaires et des bibliothèques pour le peuple.

Cet état anormal de choses — l’enseignement supérieur rationnel, réservé à une élite fort restreinte, tandis que l’enseignement primaire faisait entièrement défaut — creusa entre les intellectuels et le populaire un abîme s’ouvrant toujours plus profond et qui présentait une entrave dans l’évolution politique et sociale de la nation, en même temps qu’il offrait au gouvernement autocratique un puissant moyen d’étouffer chez le peuple la conscience de ses droits et de paralyser ses forces morales. Et c’est grâce aux efforts des zemstvos, s’employant à créer des écoles laïques et à organiser l’enseignement primaire, de même qu’au dévouement des intellectuels eux-mêmes, allant au peuple pour lui porter la bonne parole, fraternisant avec l’ouvrier au risque de payer de leur liberté et même de leur vie, leur généreux élan de solidarité, que cet abîme commençait à se combler. L’absence jusque là de tout lien moral entre ces deux couches sociales détermina le long et douloureux processus dans la marche de la nation vers sa libération politique.

Car, c’est encore dans les hautes écoles, où se transplantèrent les traditions libérales de leur aînée, l’université de Moscou, que germa le socialisme russe, qui depuis environ quarante ans prend une forme concrète, pénètre dans les milieux des ouvriers, dans les villes et des paysans dans les campagnes, travaille le pays entier à l’ombre et donne un essor au mouvement révolutionnaire, qui désormais gronde sourdement dans cet empire des tsars, transpirant de temps en temps, dans un procès politique, et que la guerre d’Extrême Orient, follement déclarée et criminellement conduite fait spontanément éclater sur un programme de revendications doubles, politiques et sociales, entraînent les différentes populations de nationalité étrangère, depuis longtemps conquises, englobant des équipages de la marine, des régiments et des garnisons, faisant flotter le drapeau rouge dans les rues, au faîte des mâts des bâtiments de guerre, sur les monuments publics.

Il a fallu faire subir au peuple russe le formidable choc de cette guerre aventureuse, qui l’a atteint dans ses plus chers sentiments personnels et patriotiques, pour le faire sortir de sa torpeur séculaire et chercher dans la révolution le moyen suprême de sauver le pays de la ruine dans laquelle le désordre