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Or, les masses demeurèrent entièrement à l’écart de ce mouvement intellectuel et libéral, qui s’est manifesté en Russie dans la première moitié du siècle précédent. Attaché à la glèbe, asservi, assimilé au bien de toute autre nature en possession du seigneur, le paysan était voué à l’abrutissement et végétait dans les ténèbres. Et le seigneur, qui avait la responsabilité de la population corvéable établie dans ses domaines, avait aussi le droit irréfutable d’exercer sur elle un pouvoir absolu. Il était libre de vendre à d’autres propriétaires des familles entières et même d’en séparer pour la vie un ou plusieurs de leurs membres. Il lui était aussi loisible d’infliger à son serf toutes sortes de châtiments jusqu’à l’étil et les travaux forcés en Sibérie et il pouvait à son gré enrégimenter tel ou tel sujet parmi ses serfs, qui ne se pliait pas facilement à sa volonté, sans tenir compte de sa situation de famille, ni de son âge, vu que le recrutement et la présentation des conscrits au Conseil de révision étaient à sa charge. Une fois incorporé le soldat devait abandonner tout espoir de jamais rentrer dans son foyer, étant donné que, dans le temps, il était tenu à rester sous les drapeaux pendant trente cinq ans. Bref, la loi accordait au seigneur le droit de disposer arbitrairement de la destinée de ceux qui étaient confiés, soi-disant, à sa sollicitude.

La vie intime de ses serfs elle-même, n’était point à l’abri de l’immixtion de sa part ; dans le village, aucun mariage ne pouvait être contracté sans son autorisation et souvent même, des couples étaient mis par contrainte, suivant le désir du maître et son propre choix de futurs époux, déterminé par une combinaison économique, ou encore une d’ordre moral, car parmi les multiples droits dont le seigneur usait dans ses domaines, celui de jus primae note ne faisait point défaut.

L’école était inconnue dans les campagnes avant la création des zemstvos, à la suite de l’abolition du servage, qui prirent en mains la cause de l’instruction populaire et qui organisèrent l’enseignement primaire dans le pays.

Bien que les masses populaires aient été réduites à l’état d’avilissement, le besoin chez l’homme d’un idéal vers lequel il puisse