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déjà ses regards vers le Bosphore — politique qu’il a léguée à la diplomatie russe, et que celle-ci a depuis fidèlement suivie, pour faire aboutir finalement à celle de l’Extrême Orient, qui devait trouver sa solution dans l’effroyable guerre avec le Japon.

Entre temps, la sollicitude de Pierre le Grand s’était portée sur la création de différentes administrations, — autant d’organes constitutifs, devant se fondre dans le pouvoir central autocratique.

Mais, pour assurer le fonctionnement de ce nouveau mécanisme — établi sur le modèle européen — par les nationaux eux-mêmes, pour leur en faire apprendre le maniement et les rendre aptes à en mettre tous les délicats ressorts en mouvement, il était aussi nécessaire d’introduire dans le pays la science européenne. Car, c’était à des fonctionnaires étrangers, appelés d’Allemagne, qu’il fallût confier au début la direction de toutes ces nouvelles institutions bureaucratiques. La création des écoles avec un programme d’enseignement moyen s’imposait.

Tandis que l’instruction primaire la plus élémentaire, fait entièrement défaut dans le jeune empire, que l’esprit populaire est alimenté de grossiers préjugés, l’organisation de l’enseignement secondaire suscitée par les besoins de l’État, l’emportant toujours sur ceux de la masse, prend un développement rapide et déjà dans la deuxième moitié du même siècle, détermine la fondation d’une haute école, l’université à Moscou.

Destinée à servir de pépinière pour préparer des candidats aux fonctions les plus élevées dans l’État, cette université sera aussi le berceau de la pensée philosophique chez l’intelliguentzia, comme on appelle en Russie les intellectuels, qui tout en se réclamant de la démocratie, constitueront une classe nouvelle, celle des privilégiés du savoir, qui ne tarderont pas à s’opposer aux privilégiés de la naissance et de la fortune. C’est du sein de cette première université russe que sortiront les Stankievitch, les Herzen, les Bakounine, puisant d’abord à la source de la philosophie allemande, puis s’inspirant des doctrines des premiers socialistes français — Babœuf, Fourrier, Proudhon — léguant à cette université les traditions libérales et émancipatrices qui persévéreront, et s’affirmant de génération en génération, s’étendront à toutes les autres hautes écoles, qui seront successivement fondées, créant au milieu des étudiants d’abord et puis de la société russe elle-même une mentalité nouvelle.