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LE MI-CHEMIN

 
Le chemin est rude. Le soleil ardent darde
Sur les pierres brûlantes de la route.
Tu as blessé tes pieds fatigués
Sur le sable chaud et le granit rugueux.
Ton âme courageuse est terrassée de fatigue,
Épuisée par la soif et la chaleur
Mais ne pense pas à t’écarter du chemin pénible
Et chercher l’oubli dans le repos honteux.

Pousse plus loin, voyageur, en avant ! en avant !
Le repos est ailleurs, il est là devant toi.
Laisse le bosquet t’appeler sous son ombre tranquille
S’inclinant sur la rivière calme,
Laisse le printemps en reine aimante et caressante y étendre son tapis vert,
Et sertir de branches un berceau d’émeraudes,
En avant ! toujours en avant ! sous l’ardeur des rayons
De ton chemin inconnu et ardent
Dédaignant la tentation passagère.

Le sommeil dans ce bosquet est redoutable, le repos y est profond
Il est si doux, si caressant
Que l’âme lassée de l’angoisse morbide
Une fois assoupie — s’endort.
Dans cette frondaison parfumée, habite une dryade ;
À peine poseras-tu la tête sur la mousse,
Que l’enchanteresse de la forêt
Dans la demi-obscurité, s’accolera à ton chevet,

Et tu entendras une voix : « Dors, repose-toi,
Fuyez fantômes troublants de la douleur !
Oublie-toi dans mon ombre parfumée
Dans le lit calme de la mer verte…
Ton chemin est long… Il est aride et triste
Oh ! pourquoi vouer ta jeune âme
À la lutte, à l’angoisse et aux tourments ?
Mon ami ! fie-toi au velours parfumé de la mousse
Ce bosquet est si frais, si tranquille,
Les moments d’oubli y sont si doux ! »

— Tu es fort, je le sais. Intrépide, tu as supporté
La lutte, l’angoisse et les tourments.
Mais plus forte que ces puissances déchaînées, mais apparentes
Est la tentation déguisée du mi-chemin.
En avant, voyageur ! Crois-moi
À peine auras-tu cédé
À un moment de béatitude, de rêve et de calme
Que tu abandonneras tout ce que tu as fait par amour
Pour le triste bonheur d’un repos honteux !

S. NADSON
Traduit du russe par Mlle Balabanoff.