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L’AVARE PUNI.

Regne une tristesse muette
Qu’on n’interrompt que par quelques soupirs.
Nantide avoit une Soubrette
Qui se fâchoit fort de ce train ;
Elle aimoit beaucoup sa Maitresse,
Mais elle haïssoit jusqu’au moindre chagrin,
À l’aimable Nantide elle prônoit sans cesse
Que la plus mortelle tristesse
N’apporte aux accidens aucun soulagement.
Cette Suivante avoit de l’agrément,
Étoit adroite & babillarde,
Aimoit qu’on lui contât souvent tendre propos,
Et quoique sage au fonds, se montroit trop gaillarde
Dans ses discours & ses bons mots.
Son zele la rendoit avide
De revoir au plûtôt quelque Amant à Nantide.
Un jour témoignant un transport
Qui partoit du fond de son ame :
Enfin, lui dit-elle, Madame,
Nous allons voir changer votre malheureux sort ;
Artaut jusqu’à l’excès vous aime.
De ce fameux Bourgeois vous connoissez l’état,
Le credit, la richesse extrême,
Il ne tiendra qu’à vous d’en partager l’éclat.
Il vient de me dire lui-même
Que tant qu’il vit du bien chez vous,
Il n’osoit aspirer à se voir votre époux ;
Mais qu’ayant vû votre disgrace,
Il vous offre à present & son cœur, & son bien ;
Dès demain, si l’on veut, le contrat il en passe,
Sans qu’en vous épousant il vous demande rien.