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Première Année. − No 1. Paraissant tous les JEUDIS Jeudi 18 Juin 1903.

Rédaction

Administration

Rue du Pré-Botté, 14

RENNES


Secrétaire

de Rédaction

Edouard GANCHE

Satirique, Littéraire et Politique

L’Evénement Rennais

Ulric GUTTINGUER Directeur-Rédacteur en Chef

5 c Le Numéro


ABONNEMENTS

(Payables d’avance)

Rennes et Ille-et-Vil. 3 50

Autres départements. 4 50


ANNONCES

4e page, la ligne..... 0 30

(Il n’est pas fait d’annonces au-dessous d’un franc.)

Réclames ............ 0 75

Faits divers ............ 1


Notre Programme

Chercher un protecteur puissant prendre un patron
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci ! Dédier, comme tous il le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l’espoir vil de voir, aux lèvres d’un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci ! Déjeuner chaque jour d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ! une peau
Qui plus vite à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?.....
Non, merci ! D’une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l’autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S’aller faire nommer pape par les conciles
Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d’en faire d’autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu’aux mazettes ?
Etre terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : oh, pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François ?
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême.
Préférer faire une visite qu’un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter !
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais .......... chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l’œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plait, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre — ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
A tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortit,
Et modeste d’ailleurs, se dire ; mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s’il advient d’un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même, en garder le mérite,
Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,
Lors-même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !

Edmond ROSTAND.

(Cyrano de Bergerac, acte II, scène VIII)

Pour copie conforme :

“ L’ÉVÉNEMENT RENNAIS ”


Masques Rennais

DANS LA VIE


Par inhalations rythmiques, l’atmosphère soporifique et lourd de la ville rennaise, flua lentement à travers tout mon être, comme un venin mortel. Ma tête se renversant déjà inerte, heurta la consistance d’un corps ; sous le choc une clarté fulgurante inonda mon encéphale, et je vis mentalement le simiesque faciès de Mme  Durlangue, murmurer par sa bouche torve : « Je vous attends. »

Une réaction s’opéra, rapide. Je m’habillai avec vivacité et quelques minutes plus tard, assis sur la banquette d’un tramway, j’allai de toute la propulsion de la fée électricité vers la demeure de Mme  Durlangue.

Au point terminus, le tramway dégorgea ses voyageurs hâtifs. L’esprit préoccupé, je ne vis point, très proche, au moment de descendre, la masse bovine d’un vieux Monsieur, sorte de roquentin, au visage ponctué de tannes et congestionné, à l’abdomen gonflé par l’hydropisie. Trouvant, sans doute, mes mouvements trop lents, il me rejeta de côté d’une formidable poussée, écrasa les pieds d’une jeune fille, ma voisine, et s’élança sur la route, en jurant d’une voix de rogomme contre tous les imbéciles qui encombrent l’humanité.

Voilà, indubitablement, pensai-je, un homme supérieur pour soi-même, le type du crétin infatué de son moi, étourdi de sa propre admiration, heureux parce que bête, avec ses mœurs de goujat et de lad.

Et, tout endolori de la puissance de ce carnivore, je couvrais la distance qui me séparait encore de la villa de Mme  Durlangue.

Au choc du heurtoir relevé et abaissé trois fois, un valet vint m’ouvrir, en m’informant que Madame m’attendait au salon. Habitué de la maison, je me dirigeai seul vers le lieu indiqué, en réfléchissant à cette étrange coïncidence d’une invitation et d’une attente cabalistique.

Par la porte ouverte, j’aperçus sur un sofa bizarrement lovée au milieu de coussins multicolores, le corps de Mme  Durlangue. A mon approche, elle se souleva à demi, me tendit la main, et, silencieuse se livra à une pendiculation désordonnée.

« Je m’ennuyais, j’ai pensé à vous, vous êtes venu, c’est parfait, dit-elle, en s’asseyant en retrait, les pieds ballants. Quel prestigieux médium vous seriez ! Et, me forçant à prendre place près d’elle. Néanmoins, je n’ai point désiré votre présence pour vous parler magie et sciences occultes, plutôt pour vous narrer par le menu, les très subtiles observations que j’ai glanées, hier, à votre intention.

Je m’inclinai.

Elle amassa à ses côtés, en pille, les coussins épars, et les bras ainsi soutenus continua : « Curieuse des modes nouvelles, des tissus et des parfums aptes à masquer ma décrépitude ; musant à travers la ville en quête d’une distraction, d’un passe-temps futile, je croisais au coin d’une rue un groupe de perruches caqueteuses, parmi lesquelles je reconnus ma prétendue amie Mme  Bienencour, qui m’octroya charitablement un salut de protection.

Petite peste, pensais-je, je me vengerai. Incontinent, je m’embusquai derrière la porte d’une allée, dans le but d’épier les faits et gestes de Mme  Bienencour. La fin justifie les moyens, excusa Mme  Durlangue.

Le hasard, qui toujours me favorise, voulut que ces chères perruches vins sent en marchant, s’arrêter à deux pas de ma cachette. Je fus tout oreille. « Quel est donc la personne qui nous a saluée ? questionnèrent les voix mielleuses.

Oh ! je ne sais trop, répondit Madame Bienencour, sur un ton dédaigneux. Ne serait-ce point une Madame Durlangue ? ajouta une autre.

Au prononcé de mon nom, elles ricanèrent, en répétant tour à tour : Durlangue ! Durlangue ! s’il est permis de s’appeler Durlangue !

C’est bien cela, dit Mme  Bienencour ; et avec une moue de pitié : Oh ! ce n’est pas une femme à fréquenter, on glose un peu sa personnalité et je ne tiens nullement à recevoir des éclaboussures. Elle est, au reste, un peu toquée, ses sujets de conversations sont continûment les mêmes, c’est fastidieux. Puis, avez-vous remarqué sa façon de s’habiller ? ....... Quelle souillon ! … Elle se ruine en toilette et en falbalas, on la prendrait pour une folle avec ses allures déhanchées ! Ça à cinquante ans, et ça veut encore poser en jeune fille, pour la galerie. Dinde, va ! ........

Toutes, elles frétillaient de joie. Je trépidais de colère. Par bonheur, elles s’éloignèrent, j’allais bondir et leur casser mon ombrelle sur les os. »

D’un fin mouchoir de dentelle, Mme  Durlangue essuya les gouttelettes de sueur perlant à son front. Ses doigts bagués d’opales, de rubis et de lapis-lazuli, scintillèrent sous un léger rayon de soleil. Agitant son mouchoir afin de rafraîchir l’atmosphère ambiant, une douce émanation d’ylang-ylang m’enveloppa et fit palpiter mes narines.

« Je m’acheminai vers le Thabor, reprit mon interlocutrice, pour apaiser ma colère aux parfums lénifiants de la verdure et des fleurs. Qu’aperçois-je bientôt ? Madame Bienencour venant seule de mon côté. Ne pouvant l’éviter, J’endiguai de mon mieux le flot d’injures qui montait à mes lèvres et pris mon air le plus indifférent.

Comment !… c’est vous, s’exclama mon ennemie ; quel hasard et quel plaisir de vous rencontrer. J’étais vraiment inquiète de ne plus vous voir. J’ai, au reste, tant d’occupations qu’il m’est impossible de vous rendre visite. Mais, vous rajeunissez, chère madame, tous les jours plus jolie ! Cette robe vous va à ravir !… Quel est votre tailleur ? … En réalité, vous êtes surprenante d’éclat et de fraîcheur ! …

Sans y répondre, je laissai brûler le fallacieux encens de l’hypocrisie. Froissée, elle me quitta brusquement. Je la suivis à distance, toute imbue de vengeance.

Elle fit quelques emplettes, minauda près de messieurs rencontrés, se répandit en congratulations et en obséquiosités diverses. Marchant, altière, au centre du trottoir, je ris, de la voir bousculer, les coudes solides de vingt mille francs de rente, une passante à l’aspect minable.

Deux minutes plus tard, elle heurta une antique beauté, qui, à son tour, forte de cinquante mille livres de rente, envoya les vingt mille patauger dans le ruisseau. En ce monde, la raison du plus fort est souvent la meilleure. Je jubilai exquisement.

D’un pas alerte, elle obliqua vers la poste. Dissimulée par un pilier de granit, je la vis recevoir une lettre au guichet de la poste restante, et la lisant, son visage refléta une joie intense J’étais édifiée !

Je courus chez moi, écœurée par tant d’immondices dans l’âme humaine et de masques sur les visages. Rien pour moi n’est plus affreux que ce puritanisme insidieux, rien n’est plus infect que ces gens à la morale intransigeante. Le matin, on se lave, et l’on reparaît, petit ange de candeur, offusquée d’un rien, âme convulsée et salie sous la blancheur du fard.

Suffoquée par la colère, Madame Durlangue hachait les phrases et les mots sifflaient entre ses dents. Ses bras sabrant le vide, avaient des gestes d’assommoirs, et, retombant, labouraient les coussins. Elle m’entraîna sur la terrasse. Le spectacle était magnifique. Devant nous le panorama entier de la capitale bretonne s’étendait, légèrement embué de vapeurs.

Au loin, les tours de Saint-Pierre, se dressaient énormes, majestueuses, non loin du beffroi doré de l’Hôtel de Ville. Éparpillés de côté et d’autre, des clochetons, des tours et des bâtiments énormes, refuges ou prisons, murs de mystères, de joies ou de souffrances. Ça et là, des volutes de fumées, des sifflements de trains, stridents, lugubres, appels à la prudence, entrave à la mort guetteuse.

A l’occident, le soleil énorme, sanguinolent, s’enfonçait dans un océan de feu, irradiant de rutilants reflets vers la terre et les ciels.

Adieu, prononçai-je. Hilare et truculente, Madame Durlangue m’offrit sa main en m’invitant à revenir bientôt. Je m’enfuis.

Édouard GANCHE.

CARTES POSTALES

Nos lecteurs pourront se procurer dans nos bureaux toute la série des cartes postales de la ville de Rennes.

Édition soignée.


ÉCHOS RENNAIS

Dans notre premier numéro, nous tenons à remercier ceux de nos confrères qui, répudiant le petit esprit de boutique, nous ont souhaité la bienvenue.

Dans ces remerciements, nous ne voudrions pas oublier notre excellent confrère Les Nouvelles Rennaises qui nous ont absolument comblé. Trois articles pour annoncer notre apparition et pour donner des détails sur notre administration, c’est vraiment trop ! Et pour répondre à ceux qui ont fait courir le bruit que nous avions payé cette publicité, disons vite que M. Morin n’a pas voulu accepter un sou de nous. C’est à l’œil, entièrement à l’œil qu’il nous a consacré trois colonnes de son journal.

A charge de revanche, confrère.

M. Buan, notre adjoint, qui est toute bonne grâce et toute indulgence, ne nous en voudra sûrement pas, si nous trahissons le secret d’une petite aventure qu’il nous a racontée lui-même.

L’année dernière, prié à la fête du Mail-d’Onges par le Comité, il alla assister à la fête vénitienne qui est un des clous de cette assemblée. Ensuite, il fallut se rendre au bal du Comité, et le président le pria même d’ouvrir le bal, en lui amenant une charmante dame, comme danseuse.

M. Buan, bien qu’il ait un peu oublié ce plaisir de jeunesse, fit quelques tours de valse, et le bal commença ensuite, d’une gaieté folle ; tandis que notre excellent adjoint allait trinquer avec le président à la réussite de la fête.

Quelques mois après, M. Buan vit entrer à la Mairie, dans son cabinet, une dame qui le pria de bien vouloir l’inscrire, pour une distribution de pain, sur les registres de l’Assistance publique.

— Je regrette beaucoup, ma pauvre dame, répondit-il, mais nous avons tant de pauvres qu’il nous est impossible, pour l’instant, d’accueillir de nouvelles demandes…

— Faites ça pour moi, M. l’Adjoint, répondit la pauvre femme.

— Qu’avez-vous de particulier à faire valoir ?

— C’est moi qui ai dansé avec vous au Mail-d’Onges.

Que vouliez-vous que fit M. Buan ? Il accorda le pain.

M. Janvier, féministe.

Ce n’était pas assez pour « notre président » d’être le grand manitou de toutes les fédérations d’entrepreneurs, d’être capitaine — au fait est-il capitaine ? — de réserve, de savoir la bicyclette et l’équitation, il lui fallait encore faire partie du grand mouvement qui est en train de conquérir la terre entière.

M. Janvier, depuis janvier — j’enviai son sort — est féministe. Oui, Mesdames, féministe. Jusqu’à présent, aux belles fêtes d’entrepreneurs qui ont lieu chaque année, il vous avait permis d’entrer au théâtre pour assister à la distribution des récompenses, mais il vous fermait la porte de la salle du banquet. Et pour vous, Mesdames, chez qui la gourmandise prime tous les péchés mignons, c’était une épreuve cruelle.

Il n’en sera plus ainsi. A la prochaine fête qui a lieu au mois de juillet prochain, à Saint-Malo, les dames seront invitées au banquet.

Jules Bois a envoyé une lettre de félicitations à M. Janvier.

La dernière de B ........ l’huissier facétieux que l’Europe nous envie :

Mon premier vaut cent francs.

Mon second s’emb..... bête.

Mon tout est le président de la fête des fleurs.

C’est Rigaud naturellement. Mais pourquoi ?

Voilà ce que B ....... nous explique.

Mon premier veut cent francs, c’est Ri, puisque Ri vaut li et que li c’est cinq louis (Lycée St-Louis).

Mon second s’embête, c’est Go, puisque Go baille.

Et mon tout.......

C’est à s’arracher les cheveux.

Gil Blas de Rennes.

Visiter la Salle des Dépêches

de L’ÉVÉNEMENT RENNAIS.


Poèmes Épiques

1. M. MALAPERT[1]


Au très distingué et aimable conseiller municipal de la rue de la Motte-Piquet.

Qui ne connaît pour l’avoir vu,
Au Palais, à l’Hôtel-de-Ville,
Le profil d’Apollon barbu
De notre sympathique édile.

Qui de nous n’a subi l’attrait
De sa parole enchanteresse,
De son geste noble et discret,
De son éloquence maîtresse.

Modeste autant que grand penseur
C’est un avisé politique,
Qui n’a qu’un désir au cœur :
Consolider la République.

Certains ont dit beaucoup de mal
De l’avocat socialiste,
Qu’on a traité de clérical,
Et d’autres, de capitaliste.

Concentré, M. Malapert
Debout, brave l’injure basse
Et devant son regard si clair
Sans l’atteindre la flèche passe.

Homme d’action, de combat
Il va dédaignant l’escarmouche,
Mais quand il faut, il se bat
Jusqu’à la dernière cartouche.

L’avenir est à ce hardi
Pionnier que guette la Gloire
Et dont, demain, le nom grandi
Figurera dans notre histoire.

Léo NYNE.

Visiter la Salle des Dépêches

de L’ÉVÉNEMENT RENNAIS.


Un mot

Aux Étudiants en Médecine.


J’ai, l’autre semaine, dans un article de reportage, transcrit fidèlement la pensée d’un rebouteur, comme j’aurais transcrit la vôtre si vous me l’aviez demandé. Et je n’ai pas pris parti. Et vous ne savez pas encore si je suis du côté du rebouteur ou du côté des médecins.

Mais en admettant que je me sois placé devant le maire de Pacé pour combattre pour lui, ce combat aurait eu lieu à armes loyales, le visage découvert. C’était mon droit le plus absolu.

Vous êtes venus me conspuer à la porte de l’Ouest-Eclair. Sans rechercher si vos griefs sont légitimes, tellement je crois que la liberté de chacun doit être respectée, je vous le dis franchement : « C’était aussi votre droit. »

Et soyez certains que je ne vous en garde pas rancune. Dans ma prime jeunesse j’ai comme vous conspué un tas de gens qui ne s’en portent pas plus mal. Au contraire. L’un d’eux est académicien. Et si, mon Dieu, vos clameurs pouvait me procurer la même aubaine, je vous porterais dans mon cœur, car vous savez que le rêve de tout homme de lettres, fut-il journaliste, est de finir ses jours dans l’habit vert brodé.

Mais, je ne vous garde pas rancune j’oublie même le cercle de tonneau, qui jeté à ma fenêtre par une main sûre eut pu devenir le fameux cercle de la mort, célèbre aux Folies Bergère, mais ce que je vous reproche, c’est de ne pas savoir faire la police de vos petites manifestations.

Alors que dans la forme traditionnelle, vous venez de conspuer Ulric et d’envoyer Guttinguer à Charenton — ton taine, ton ton — trois ou quatre voyous disséminés parmi vous, comme les brebis galeuses d’un troupeau, me lançaient avec une voix de rogomme, d’ignobles injures, qui ne pouvaient salir que la bouche de ceux qui les proféraient.

Ces voyous, je les connais, j’ai leurs noms et adresses, j’ai même entièrement à mon service les témoins qui me permettraient de les traduire en Police Correctionnelle, mais quand je n’y suis pas forcé, il me répugne d’en venir à cette extrémité. Et puis, pourquoi leur faire avoir une fessée de leurs parents. Je préfère la leur donner moi-même.

C’est pourquoi si ces voyous ne sont pas en même temps des lâches, je leur donne rendez-vous à l’Evénement Rennais. En mon nom, et non en celui du rebouteur, je leur donnerai la petite correction qu’ils méritent. Ça leur fera du bien et leur économisera un procès.

Quant à vous les vrais étudiants, continuez si vous le voulez à me conspuer, j’aurais plaisir à recevoir votre visite, car dans vos emportements, vous gardez toujours la correction des gens biens élevés. Et comme disait parait il, d’une façon si amusante le Marquis de Talleyrand-Périgord : « Les voyous seuls me puent au nez. »

Ulric GUTTINGUER.

“L’Evénement Rennais”

au Conseil municipal


Derniers débuts du 1er Comique ANDRIEU


La nuit est clair et le froid est vif, on dirait une soirée de Novembre. Emmitouflés dans leurs pardessus, au cou, de vagues foulards, nos conseillers se défilent et rapidement gagnent la salle des séances. Tous sont en retard, le programme de la représentation moins qu’attrayant, et c’est avec peine qu'ils ont quitté — j’allais dire le coin du feu — les joies familiales pour venir contempler le profil de mouton bêlant d’Andrieu, dit « La Terreur du Champ de la Vigne. »

Je ne voudrais pas dans ce journal qui a la prétention d’amuser ses lecteurs, donner le compte rendu complet des mètres fournis par les Entrepreneurs dans les devis de Pontchaillou, je n’ai pas non plus l’intention de vous donner les noms des 11 jeunes ouvriers qui sollicitèrent une Bourse à l’École des Arts et Métiers d’Angers et qui obtinrent, je ne vous raserai pas avec les chemins vicinaux dont vous vous moquez comme de votre première pipe, je ne m’apitoyerai pas sur les secours accordés à de vieux serviteurs de la ville, et je viendrai de suite au gros morceau de la représentation, les derniers débuts du 1er comique Andrieu.

Connaissez vous le personnage ! Il est célèbre dans son quartier, tous les débitants du Champ de la Vigne lui tirent leur chapeau jusqu’à terre et l’appellent par son petit nom. Au Conseil, sa popularité est la même, mais son succès est différent, car, dans notre assemblée municipale, il joue le rôle du premier comique, que jusqu’à présent personne n’a pu lui enlever. Il rit, il pleure avec la même facilité, tour à tour ses yeux sont rigolards ou furibonds ; il supporte les répliques les plus dures et se lâche pour la moindre plaisanterie, il est « roulant » vous dis-je, et à lui seul, vaut le voyage au Conseil municipal.

Et à la vérité, ce qui rend le citoyen Andrieu si fébrile, si agité, c’est son anti cléricalisme aigu. Il voit du curé partout, dans tout. Il ouvre ses larges narines, flaire l’espace, et tout d’un coup il s’arrête, comme l’ogre du Petit Poucet, et s’écrie : « Il y en là ! » Ce pauvre homme, à qui la Loge, à les droits de l’Homme et la nauséabonde Action, ont fait tourner la tête, est un objet de risée même pour ses coreligionnaires et franchement nous en venons a souhaiter pour lui que le tramway du faubourg de Paris soit prolongé jusqu’à Cesson, car on pourrait ainsi le conduire sans encombre dans une maison hospitalière qui se trouve sur le chemin.

Mardi soir, Andrieu 1er comique a commencé ses scènes drolatiques au sujet de la Ruche Ouvrière. On connait cette intéressante société. Des ouvriers se sont groupés, ont formé un petit capital, et ont décidé de l’employer à faire construire des maisons ouvrières payables par petits versements mensuels. C’est là une initiative qui jusqu’à présent n’avait été prise par personne à Rennes, et l’œuvre bien que jeune est en pleine prospérité, mérite certainement d’être encouragée, d’autant plus qu’elle n’a aucun caractère politique et que ses membres appartiennent à tous les partis.

Andrieu, qui, comme l’a si bien dit le docteur Deschamps, ne considère comme philanthropiques que les sociétés qu’il aime ou qui lui profitent, fait une charge à fond de train contre la Ruche Ouvrière, qui demande la concession gratuite de quelques parcelles de terrain sur le boulevard de Sévigné et le boulevard de Metz. Et comme la commission conclut à céder à cette société le terrain demandé au prix coûtant, le comique s’emballe, fait des effets de torse, ricane comme Coquelin dans Cyrano, roule ses yeux et prétend que la ruche revendra dix francs, les terrains qu’on lui cède à deux francs.

La salle entière éclate de rire, et le comique qui pourtant devrait être satisfait de son succès, prend à partie ce brave Jestin qui proteste et lui dit qu’il est aussi voleur que la Ruche.

Naturellement, ça se gâte ; car Jestin qui est bien le meilleur et le plus honnête des hommes ne se laissera pas insulter par « la terreur du Champ de la Vigne. » Demain, ce dernier recevra du papier timbré et de l’avis de tous, il ne l’aura pas volé.

Inutile de dire que tout les conseiller, sauf M. Andrieu ont accordé à la Ruche les terrains qu’elle demandait.

Après cet intermède, le Conseil Municipal s’est occupé du tramway de Cesson.

Ce projet de tramway, que j’ai encouragé depuis six ans dans différents journaux de Rennes ne verra pas le jour sans difficultés.

Ce fut d’abord le Conseil général, qui, pendant plusieurs années opposa une telle force d’inertie qu’il fut impossible, malgré les instances de MM. Pinault et Le Hérissé d’obtenir, avant la dernière session, un crédit quelconque. Encore faut-il dire que si les représentants de l’assemblée départementale accordèrent 10.000 fr., ce fut à la condition de voir la Ville de Rennes accorder la même subvention.

Or à son tour, Rennes veut bien donner : 10.000 fr. mais aussi à condition, c’est-à-dire que la Cie des Tramways Électriques devra prolonger la ligne de la Tour d’Auvergne jusqu’au faubourg de Nantes. C’était dire à la Compagnie « Nous voulons bien vous faire gagner de l’argent d’un côté, mais vous en perdrez de l’autre ». Et la Compagnie a refusé, comme de raison.

M. le maire, qui estime avec justesse que le tramway de Cesson rendra, non seulement d’immenses services à la commune de Cesson qui fait presque partie de Rennes, mais encore à la population rennaise qui le dimanche a besoin du bon air de la campagne, dit qu’il a reçu la visite de M. Prugnaud le chef d’exploitation des tramways qui l’a prié d’insister auprès du Conseil pour obtenir une subvention sans condition. M. le Maire demande si l’on ne pouvait pas accorder 5 000 fr. à la Compagnie au lieu de 10.000.

M. Brager de la Villemoysan fait remarquer qu’à vouloir trop gagner on va tout perdre, et il propose une transaction qui semble rallier tous les suffrages. On accordera 5,000 francs à la Compagnie pour la construction du tramway de Cesson, et elle s’engagera lorsque son kilomètre lui aura donné des bénéfices, à prolonger la ligne de la Tour d’Auvergne jusqu’au faubourg de Nantes.

  1. Cette pièce de vers sera dite à la première occasion par M. Coquelin cadet à la Comédie française à moins que ce ne soit ailleurs. (note de l’auteur).