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EN VENTE CHEZ DENTU Et au Bureau du Journal, 5 RUE SAINT-JOSEPH, PARIS Les Femmes qui pensent et les Femmes qui écrivent 02-5 16400 Prix 1 franc. RENÉ MARCIL - Prix: 1 franc. RAISED Nous recommandons vivement à nos lectrices la lec- | n'ont été à ses yeux éblouis que les Droits du Mâle... tnre de cette brochure; nous reproduisons ici la préface. La Femme n'a pas été conviée au banquet de la Liber- té. Il m'a semblé que l'approche du Centenaire de notre immortelle Révolution qui a proclamé les Droits de l'homme, c'est-à-dire de la race humaine, était une occa- sion pour l'Idée féminine de se produire avec plus de liberté, et c'est pourquoi je me décide à faire paraître cette brochure, écrite il y a environ quatre ans, et dont le ma- nuscrit, envoyé ici et là, m'a valu quelques approbations dans le monde des penseurs. L'Idée révolutionnaire n'a été accomplie qu'à moitié et, à cause de cette faute, elle a dû subir les successives éclipses de la Force, elle est remontée sur les hauteurs jourd'hui, et ceux qui nous écou- d'où elle continue à verser des torrents de lumière sur « Il faut bien le reconnaître au- tent ou nous lisent le savent: en France, en Amérique, partout, ce n'est plus elle ou telle femme qui combat le grand combat du Droit et de la Liberté:c'est l'Esprit même de la Femme. »> R. M. Ce sont des pages écrites au courant de la plume et presque d'une haleine; je ne veux rien y ajouter, respec- tant l'inspiration qui me les a dictées et qui est un gage de sincérité. Je crois que le devoir de l'écrivain et surtout de l'écri- vain féminin est de donner sa pensée tout entière, et surtout d'aller jusqu'au bout de l'Idée; c'est ma convic- tion profonde, et j'ai toujours prêché d'exemple, autant que j'ai pu le faire, par la parole et par la plume, en prose L'ESPRIT DE LA FEMME comme en vers. La pensée n'est en notre cerveau qu'une parcelle du patrimoine commun, un dépôt que nous pouvons faire fructifier librement, mais dont nous devons un compte sévère à la collectivité... Il ne nous est point permis de l'étouffer ni de l'atténuer, car cette atténuation de l'Idée, dont nous sommes seuls juges, peut n'être qu'une sug- gestion de notré égoisme qui nous conseille avant tout de nous garder et de plaire. Cette atténuation, qui rogne les angles de nos juge- PAR C'est la lutte implacable de l'Idée contre les passions et les intérêts; passions et intérêts qui furent toujours les vrais leviers qui soulevèrent les hommes. L'Idée, la Raison, le Droit ne jouèrent jamais qu'un róle subalterne en dépit des apparences pompeuses... et pourquoi ? Parce que, partout, chez nous comme chez les Canaques, l'homme seul a dominé; parce que l'État masculin a im- posé ses lois égoïstes à la moitié de l'humanité, à cette moitié qui, justement par sa destination, par ses vertus naturelles devait être la médiatrice entre l'esprit de l'homme et l'esprit de la nature. Si pour créer un être humain, il faut l'union de l'homme et de la femme, pourquoi n'en serait-il pas de même pour l'enfantement d'un État? Tous les codes, civils et religieux, monarchiques et démocratiques, catholiques ou bouddhiques ne sont rien que des créations masculines, c'est-à-dire monstrueuses, et elles ont toujours prouvé leur monstruosité, par l'im- possibilité de se maintenir autrement que par la Force... La Force qui règne encore partout et méme dans notre France. C'est en vain que de siècle en siècle l'Idée s'est incar- née en des ètres de génie; c'est en vain que les grands législateurs, les grands poètes sont venus grossir le pa- trimoine intellectuel et moral des peuples; c'est en vain que les géants de 89 ont écrit, dans la flamme et dans le sang, en caractères ineffaçables, les mots qui devaient sublimer l'esprit de l'homme, l'homme n'a pas voulu, ou n'a pas su lire tout ce qui était écrit... il n'a traduit que le mot à mot des décrets libérateurs. Les Droits de l'Homme - c'est-à-dire de l'Humain - ceux qui l'adorent, sans lui obéir. Non! pas plus que la Femme, l'Homme ne se sauvera seul. Contre l'orgueil implacable de l'homme se dresse l'or- geuil invicible de la nature. - et pour Or, la nature a pour loi physique - l'union loi morale l'unité. Si donc, comme l'union s'est faite au nom de l'Amour, l'unité ne se fait pas au nom de la Justice, le Droit ne s'incarnera pas sur la terre et la Révolution avortera !... La lutte de l'homme contre ces lois fatales est puérile, et cette lutte (qu'il le sache bien) est un des plus grands étonnements de la Femme qui pense; et, si cette lutte dure, les gouvernements, de plus en plus impuissants à réaliser l'oeuvre des penseurs, assumeront la responsabi- lité des plus effroyables catastrophes, de ces heurts fra- tricides qui s'accomplissent dans le sang, sous le regard de l'immense foule méconnue des mères et des épouses! Et l'on veut qu'ayant dans l'esprit cette conviction, dans le cœur cette intuition, la Femme qui pense se taise ? Oh ! jâche, lâche, mille fois lâche, celle qui, par une loi de filiation mystérieuse, ayant réussi à s'armer de la Pensée et de la Parole, se retirerait, dédaigneuse des luttes suprêmes, et, comme une vile esclave, s'en irait s'asseoir près des fourneaux, surveiller l'apprêt des sauces savamment élaborées... Immolera-t-elle son intelligence, son génie peut-être, à Chrysale qui n'a que faire de tels dons et qui leur pré fère de beaucoup et avec raison les talents rustiques de Margoton? Je sais bien que Mme Beecher-Stowe, luttant pour l'af- Et quand il s'agit de libérer l'esclave blanche quand il s'agit d'arracher à l'éternelle douleur, à l'éter- nelle honte le dernier paria de nos civilisations la Femme, celles qui ont un cerveau et une voix hési- teraient à s'en servir? Ah! certes! dans ce combat de l'Idée émancipatrice soulevant un monde, il n'est pas une de nous qui ne s'é- pouvante de la disproportion entre l'œuvre et l'ou- vrière... Tel un homme au pied de la tour Eiffel, il compare sa petitesse à cette grandeur et subit le vertige de son hu- milité... mais bientôt il redresse fièrement la tête en pen- sant que le colosse est le fils de son génie! Ainsi la Femme qui pense apporte son humble pierre à l'édifice social qui se dressera bientôt aussi dans les airs... Ne serait-il pas temps de mettre chacun et chacune à sa place? Au lieu de blâmer et diffamer les femmes éprises d'Idéal qui se sont élevées héroiquement au- dessus du niveau moyen permis à leur sexe, ne ferait- on pas mieux d'avouer qu'elles sont dans leur voie, qu'elles font l'oeuvre pour laquelle elles ont été créées et la seule qu'elles puissent accomplir? Où donc est celui qui peut dire à l'esprit: Tu n'iras pas plus loin ? ne me démentira si je dis que ce ne sont pas celles-là qui empêcheront le monde cahin-caha, « D'aller de chemin son petit bonhomme... » Mais les temps sont proches, et tant pis pour les petits Napoléons qui s'effrayent des futures Mme de Staël. L'Esprit de la Femme est arrivé à sa majorité, et les femmes sont absolument décidées à ne plus se laisser supprimer. Cet Esprit-là ne fait plus peur qu'aux lâches et aux imbéciles. ments, arrondit nos périodes et châtre, pour ainsi dire. franchissement des noirs, écrivit son chef-d'oeuvre: la réaliser de grand dans le domaine de l'Idé la vigueur de notre verbe, me paraît un crime, car c'est Case de l'oncle Tom, en écumant son pot-au-feu; mais elle n'aurait pas écumé son pot-au-feu que sa gloire n'en bien souvent par elle qu'on fait avorter les oeuvres les serait nullement diminuée... plus puissantes et les plus chères. interrogé Certes, parmi les questions du jour, celle de l'émanci- pation de la Femme n'est pas la moins passionnante pour les vrais penseurs qui voient dans les manifestations de la fin de ce siècle ce qu'il y faut voir, le formidable corps à corps de l'esprit nouveau contre le vieux monde qui ne veut pas se rendre. Où donc est celui qui pourra lui dire: Tu souffleras dans tel cerveau et non dans tel autre? Quel est l'Hercule qui dira au génie: Tu n'habiteras pas l'âme d'une femme? En vérité, l'on reste stupéfait quand on songe à cette confiscation de la pensée féminine pendant les siècles des siècles... Quant aux bons jésuites - la plupart célibataires qui invoquent contre nous la sainteté du foyer, disons- leur bien vite que le pot-au-feu national n'est point près de se renverser et... qu'il ne manque pas non plus en France de jeunes filles à marier... qui n'ont jamais su penser.... Et s'il reste encore par ce temps de merveilles scien- tifiques et à cette Ère de liberté d'autres empêcheurs d'écrire ou de parler en rond, disons leur que, penseurs, savants, philosophes et poètes sont avec nous, pour la gloire de la France et la liberté du monde. Pour ceux-très sincères qui nous reprocheront de demander des droits dangereux pour la République, par exemple le droit de voter, lequel, selon eux, mettrait la Liberté à la discrétion du confessionnal, je répondrai : 1° Qu'il n'y a pas de raisons contre le Droit ; 2° Que la République ne peut arguer contre nous des lois monarchiques et cléricales, qui sont la négation de son principe; 3° Que la question des Droits de la Femme qui va se poser au congrès de Paris n'est pas seulement une ques- tion française mais universelle ; 4° Que l'honneur de la France est engagé devant le monde à résoudre le grand problème humanitaire dans le sens de la justice absolue; que cette tâche incombe surtout à la France, qu'elle ne peut s'y dérober sous peine d'entendre nos ennemis répéter: « Que si 1789 fut immense, 1889 est incapable de rien 3) 50 Qu'il faut que - lution réponde; l'Esprit de la Révo- 6° Qu'il est immoral que seule-la femme française subisse l'humiliation des chaînes forgées par la loi sa- lique, la loi catholique et par le Code civil. La France a-t-elle donné tant de libertés au monde qu'elle se soit à jamais épuisée ? Quoi! nous verrions la République distancée par les monarchies? L'Angleterre, le Danemark, la Suède, tous les pays protestants traineront-ils à la remorque la France de Voltaire et des Encyclopédistes? La plus grande cause humaine à cette heure suprême échouera- t-elle misérablement au seuil du confessionnal? Je ne crois pas les femmes de France aussi cléricales qu'on le dit; mais si elles sont telles, n'est-il point d'une haute politique pour la République de les attirer à elle par sa large justice et sa tendre sollicitude? Si l'Idéal de nos pères est bien l'Idéal humain et pour moi il est au plus haut étiage dans l'absolu, n'est-il pas rationnel d'y acheminer, d'y grouper tous les êtres hu- mains ? Nos pères, en édictant les Droits de l'homme, n'ont-ils pas embrassé dans cet élan de justice toute l'humanité? D'ailleurs il s'agit moins, demain, à l'heure où furent proclamés les immortels décrets des Droits de l'Homme, d'accorder aux femmes tels ou tels droits que de pro- clamer leur entrée dans le Droit. La reconnaissance solennelle de l'Egalité de la femme. s'impose pour la France devant le monde entier. Quant aux femmes de France elles ont prouvé qu'elles savaient attendre, et si l'exercice de certains droits, no- tamment celui de voter, devait être ajourné dans l'in-- térêt supérieur de la Liberté, elles sauraient montrer par leur attitude qu'elles sont dignes de la Liberté. Nos maîtres se sont-ils demandés un seul jour ce qu'ils ont dérobé au patrimoine intellectuel de l'humanité en imposant silence à la Femme ?... (1). Date du vote de la déclaration des Droits de l'Homme. Le Gérant A. HOEL. Oh? je sais bien qu'il y a des femmes qui font, comme les écrivains de droit divin, plus ou moins de la littéra- ture; j'en connais qui ont du talent et de la verve, je sais Paris. Imprimerie Moderne. - D TOWNE, 5, rue St-Joseph. même qu'on en couronne à l'Académie... mais personne Les femmes attendent avec confiance le grand anni- versaire du 26 août 1789 (1).