Page:L’Esprit de la femme, 1889-09-19.pdf/3

Cette page n’a pas encore été corrigée
L’ESPRIT DE LA FEMME

public, augmente sa stupéfaction, sans ramener sa confiance.

— « Quoi ? s’écrie-t-il, voilà un homme de génie que vous connaissiez tous, qui était de vos amis, qui publiait des livres, et oncques ne m’avez dit un mot de cet ami ! de ses livres et de son génie ! et votre silence est cause qu’il mourut de misère !… Votre cœur l’avoue : « Un peu de justice, lui vivant, l’eût empêché de mourir peut-être ? »

« Cette justice, qui donc la pouvait dispenser ? sa renommée était en vos mains, et avec sa renommée, sa vie ! »

Voici de belles paroles, généreusement indignées ! Colombine, qui n’est pas une femme, mais dont j’ai oublié le nom que je voudrais écrire ici, a rendu la justice — comme une femme !

Voici une mort de poète très émouvante pour ceux qui comprennent combien d’autres agonies se cachent sous cette agonie…

Villiers de l’Isle-Adam avait une maladie que les médecins, dit-on ne purent définir.

Mais nous qui chantons les joies et les souffrances de l’humanité, nous poètes, nous savons, qu’à notre époque, un poète à l’âme fière ne peut mourir que de douleur et de dégoût !

Et maintenant, à qui le tour ?

René Marcil.
Séparateur


FEMINA[1]

L’aurore, en s’élevant dans l’infini des mondes,
Fait gaiment pressentir le jour ;
De même vous venez, ô jeunes têtes blondes,
Sur terre nous parler d’amour !

Arbustes pleins de fruits mais à la frêle écorce,
On vous appelle, des enfants,
Pourtant votre faiblesse a tué notre force
Et vos émois sont triomphants.

— Vous cherchez, près d’un père, à vous faire petites,
Afin qu’il se sente moins vieux ;
Vous avez, pour cela, des phrases inédites
Et des rires délicieux…

Plus tard, le cadre change : on voit vos bras — vos ailes —
Rendre captif l’époux aimé,
Alors qu’il cherche à lire en vos yeux de gazelles
Un doux rêve à peine formé…

Puis, aux jours souhaités, on vous voit, jeunes mères,
Ayant le berceau sous vos yeux,
Pleurer avec l’enfant de ses pleurs éphémères,
Et rire quand il est joyeux !

— L’aurore, en s’élevant dans l’infini des mondes,
Prend les sept couleurs tour à tour ;
De même vous donnez à vos jeunesses blondes.
Toutes les formes de l’amour !

Lucien Cardoze.
Séparateur


GUERRE AUX PRÉJUGÉS


Être ou ne pas être… femme

De nos jours où les problèmes sociaux sont multiples et les solutions rares, on vient de résoudre un problème bien autrement redoutable que celui de savoir si l’imbécillité d’une poignée d’hommes va nous faire reculer de vingt ans dans les fanges du césarisme républicain ou dans les ténèbres de la république monarchienne.

Ce problème le voici :

- Comment reconnaît-on qu’une femme est bien femme ?

Il paraît (c’est à l’Éclair qu’on a découvert cela) qu’il y a un critérium sûr pour distinguer la femme authentique de celle qui ne l’est pas.

C’est bien simple ! Vous demandez à brûle-pourpoint à un de ces êtres négligeables, généralement vêtus d’une robe (ne point se tromper cependant !) : « Que pensez-vous de Boulanger ? » si cet être vous répond en minaudant « je le trouve bien joli ! » et si vous ajoutez : « Que pensez-vous de l’émancipation féminine ? et que l’être réponde avec dédain « ah ! ce que je m’en fiche ! » n’hésitez plus ! tombez à genoux ! écriez-vous avec extase : La voilà la femme ! la vraie ! la seule ! l’idéale ! à moins toutefois qu’elle ne ressemble trop à un sapeur… ce qui pourrait arriver.

Ce n’est pas plus difficile que cela ! avis aux chercheurs de l’âme féminine, avis aux futurs de Goncourt ! avis aux futurs Saint Simoniens. Car il ressort de l’article de l’Éclair que les femmes qui s’occupent de politique, (et puis aussi, n’est-ce pas ? de littérature… Voire de sciences et puis d’avocasserie) ne sont que des apparences trompeuses… fussent-elles mères de cinq ou six enfants.

Vous voici averties, Mesdames ! il s’agit d’être ou n’être pas… femme. L’auteur de l’article oppose aux femmes-politiques —qui ? Mme Séverine et Mme {{{2}}} Sand ! ! !

On nous oppose Mme Séverine, disant ceci ; « Je suis bien heureuse d’être femme, afin d’être assurée de ne devenir jamais ni conseillère municipale, ni députée. » Eh bien ! et les vaillantes américaines ? qui sont conseillères et mairesses, et cette grande citoyenne qui a mérité d’être proposée pour la présidence des États-Unis, Mrs Woodhall ? point femmes celles-là ?

Mme Séverine — dit toujours le chroniqueur — répondit aux fameuses candidates de 1885 (à celles qui — faute de journal à elles — escaladèrent la tribune, pour porter devant l’opinion publique les justes revendications de la femme). « Je n’accepte pas la candidature ! ! ! je suis trop femme », et le chroniqueur ajoute : peut-on être trop femme ?…

En vérité, monsieur le chroniqueur est-ce ainsi qu’on écrit l’histoire ? Est-ce bien de Mme Séverine, l’amie et la continuatrice de Vallès, la directrice du Cri du Peuple que vous voulez parler ? N’est-ce pas plutôt de la Jacqueline du Gil Blas qui écrivait en 1888 après une réunion à la salle Horel, où prirent la parole Louise Michel et peut-être aussi la ci- toyenne René Marcil : « Je rougirais de monter à la tribune populaire deman- der an caleçon et des gants de lutteur… je suis trop cela ! » femme pour A moins que ce ne soit de la Renée du Gaulois (que je regrette de n’avoir jamais lue) que veut parler l’Eclair ? Vraiment, Mme Séverine a trop de bon sens et surtout trop d’esprit pour croire qu’elle se peut cacher ainsi sous les falbalas et l’éventail d’une puérile mondaine et renier de cette façon des opinions et une attitude qui durent être sincères ; et j’espère qu’elle voudra bien reconnaître que pour être une femme politique, on n’eo est pas moins femme. Ce doit être l’avis de la gracieuse Mme Adam.

C’était l’avis de Mme de Staël et ausei de Mme Georges Send, qui, quoiqu’en pense le chroniqueur de l’Eclair, était une femme éminemment politique et socialiste et révolutionnaire, en quoi elle était bien femme, c’est notre avis, et c’est ainsi que la citoyenne René Marcil a pu dire à cette salle Horel : « L’esprit de la femme est revolutionnaire », et en effet, n’aspire-t-il pas à un état social plus humain.

Quant à Georges Sand, elle était à la fois très-virile et très féminine, car c’est l’essence du génie de réunir en lui ces deux puisssances dans un tout harmonique.

LA FEMME aux Rubans verts.

TRIBUNE

Dans notre prochain numéro nous ouvrirons une TRIBUNE où pourront se produire librement les réponses particulières touchant les idées et les questions que nous soulevons dans ce journal, et principalement celle-ci « La forme du Gouvernement importe-t-elle à la femme. »

Mission de la Femme contemporaine

Ô Femme ! ô paria ! pauvre être contesté !
Égale ta grandeur a ton humilité !
Oppose ton amour à ce dédain farouche
Qui glacerait les mots de flamme sur ta bouche,
Parle ! jette ton cri plus vibrant chaque fois !
Fais pâlir les tyrans et dénonce leurs lois !
Dévoile le secret de leurs codes perfides !
Arrache à leurs mépris tous les masques livides !
Qu’à son tour le coupable, à ta barre traîné,
A ses obscures lois soit lui-même enchaîné !
Ah ! s’ils ont refermé sur toi leur Code infâme
C’est qu’ils ont craint ton cœur et ton génie, ô Femme !
C’est que, lionne, ils ont, en forgeant tes barreaux,
Sur les plis de ton front lu l’arrêt des bourreaux ;
C’est qu’ils ont entendu le cri fauve des mères ;
C’est qu’ils ont aux amours mesuré les colères ;
C’est qu’ils ont dit : — Lionne et louve bondiront,
Et déserts et cités soudain tressàilliront !
C’est qu’il nous faut murer dans le mépris cette âme
Et que l’homme soit sourd aux accents de la femme !
C’est qu’il faut à jamais souffler sur ce flambeau,
Replonger cet esprit dans la nuit du tombeau !
C’est qu’il faut sur ce cœur sceller la froide pierre,
Et craindre qu’un sanglot ne réveille la terre !
C’est qu’il faut sur ce front où l’éclair peut, demain,
Apparaître, vengeur, mettre un bandeau d’airain !
C’est qu’il faut sur ces yeux qui scruteraient le monde,
Mettre le voile obscur et la larme inféconde !
C’est qu’il faut que cet être et faible et tout-puissant,
Passe à travers la vie instable et languissant !

Combien tu dois venger de siècles de détresse !
O Femme ! lève-toi ! monte sur les sommets !
Némésis, Némésis ! éveillée à jamais !
Femme ! que la Pitié mette les pleurs terribles
A tes doux yeux d’amante et de mère ! — Invincibles,
Devenez désormais, ó cœurs faits pour aimer !
O voix enchanteresse et faite pour charmer,
Prends le sonore accent qui sied à la mêlée,
Lance le trait mordant de ta parole ailée !
— Puisque la force encor enchaîne les humains
Que le Droit prisonnier tombe en de viles mains ;
Puisque sous l’Absolu nul orgueil ne se range,
Que le glaive de feu pâlit aux mains de l’ange,
Puisque sous l’Idéal tout ne s’incline pas ;
Puisqu’on nous fait le jour et si terne et si bas ;
Puisque la Liberté, tant de fois éclipsée,
Par ses timides fils est si souvent blessée ;
Puisque sous la raison, ce pur flambeau qui luit,
Tant d’âmes vont niant, hagardes dans la nuit ;
Puisqu’il faut ou périr ou bien être sublimes
Et qu’on hésite encor à monter sur les cimes ;
Puisque, Terre, il te faut des hommes ! et vous cieux,
Qu’il vous faut des esprits pour chasser les faux dieux,
Puisqu’il faut que ce siécle impérieux to fonde,
Te coule dans l’airain, ò Liberté du monde !
Puisque, Science, il faut lever à tes hauteurs
L’esprit des gouvernants et des législateurs ;
Puisqu’un souffle puissant soulève la parole,
Qu’un mot libérateur dans l’espace s’envole ;
Que ton printemps sourit enfin, Humanité,
Et que ton heure sonne, auguste Vérité !
— Ô Femme ! lève toi !… décrète la lumière !
Fille du paysan, femme du prolétaire,
Filles de la pensée et femmes de tout rang,
Qui donnez votre lait, votre âme, votre sang !
Mères, toutes enfin, de l’enfant ou de l’homme ;
Femme de quelque nom douloureux qu’on te nomme,
A ton frère, à ton fils, à ton époux apprends
Que l’heure va sonner, que proches sont les temps !
Qu’il faut signer enfin l’acte de délivrance…
Et que libre demain, ta mission commence
R. M.


-Que son profond amour, sous le feu du génie,
S’éclaire et c’en est fait de ta longue agonie
Humanité ! Ton jour au ciel s’allumera !
Et le voile du temple à ton œil s’ouvrira !
Un long cri de bonheur, roulant de cime en cime
Salûra le lever de cette Ere sublime,
Et l’heure aura sonné du réveil rédempteur…

— Et moi le noir serpent, l’éternel contempteur,
« Moi qui revêts la robe à la pourpre éclatante,
« Ou le sombre manteau, la tunique fuyante…
<< Moi — prêtre juge— ou roi — masque dur et moqueur,
« Qui parle en suppliant ou commande en vainqueur,
« Moi je disparaitrai dans la splendeur des choses,
« Du paradis rouvert, fuyant toutes les roses…
« Car, de ce Paradis, c est moi qui fis l’Enfer,
<< Homme, et bientôt ta main sût façonner le fer !
« Eve éclairait ta route ; alors je m’armai d’Elle,
« J’en fis ton adversaire inconsciente et cruelle ;
« En des siècles d’horreur et d’ombre vous traînant,
« Et sous les vastes cieux confessant le néant !
« Peut-être que Celui qui me savait infâme,
« Homme, te punissait de douter de la Femme !
« Peut-être voulut-il que cet être sacré
« Par sa seule vertu fut enfin délivré…
<< Et que l’homme adorant cette forte faiblesse
« Détestât à son tour sa puissance traitresse…
« Et maudissant la force aveugle, à l’idéal,
« Sur l’éternel amour bâtit un piédestal ! »
Car le Maitre avait dit : — Par le serpent, mordue,
Sous ton talon, un jour, de douleur, eperdue,
Tu briseras son crâne odieux, — et soudain
La erre reverra les clartés de l’Eden !

Satan, toi qui n’as plus qu’un instant à paraître,
Dresse-toi ! que chacun puisse te reconnaître !
Noir serpent que longtemps Eve en pleurs a cherché !
Qui maudis le venin à ta lèvre caché,
Eternel mécontent, plein de trouble et d’envie
Qui siffleste glissant la haine de la vie ;
De la Femme, victime et complice à la fois,
Dont tu t’armais, riant de son âme aux abois,
Attends le coup vainqueur et la voix vengeresse !

  1. Cette poésie est extraite de Paroles d’amour et de raison, volume publié chez Jouaust, 7, rue de Lille.