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L’ESPRIT DE LA FEMME


ceux qui firent avec le boulangisme le pacte le plus immoral qu’ait jamais eu à enregistrer l’histoire ; que si ce pacte entre nos séculaires ennemis et leurs éternelles victimes, n’est qu’une tactique, cette tactique est dangereuse et corruptrice au premier chef de la conscience publique.

Je leur dirais qu’ils ne peuvent pas consentir alors que tous les yeux sont dessillés, à paraître dupe de la République bâtarde, dite boulangiste, qui n’est rien que la monarchie honteuse.

Je leur dirais que ce qui doit sortir de l’urne le 22 septembre 1889, c’est le bonnet de Marianne et non le parapluie d’Orléans, et que le chant qui doit s’entendre ce n’est pas l’air de la reine Hortense, mais la Marseillaise du peuple souverain.

Et puisque j’indique ici de quelle façon les femmes entendent la politique, je terminerai par ce vers que j’ai écrit au front de l’imposteur Boulanger.

« Sur l’idéal trahi, l’on marche dans la boue[1]. »

René Marcil.
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MARCILIENNES


LES SATISFAITS

Quiconque, — de nos jours — porte au front la clarté,
Est un lâche, un infâme… ou bien un Révolté !

Oui, celui qui n’a pas dans l’immonde mêlée
Senti se soulever son âme refoulée :
Celui qui prisonnier d’un sordide idéal
N’a jamais poursuivi que son rêve venal ;
Et dans l’affreux combat, tenant dur et rapace !
N’a garé que sa peau, sauvé que sa besace ;
Celui-là qui devant chaque nouveau méfait,
Lève un bras vers le ciel et se dit satisfait ;
Celui-là qui devant tous les pouvoirs se pâme
Celui-là, je le dis, est le lâche et l’infâme !

— Mais d’aucun crime au moins, il ne s’est pas souillé ?
— Non, mais il a joué l’Idée, au doigt mouillé !
— Il ne prend pas l’argent volé qu’un grand empoche ?
— Mais c’est en vil flatteur qu’il sait remplir sa poche !

Cet homme habile et froid, qu’anime un feu trompeur,
Ne connait qu’un espoir, et ne sait qu’une peur ;
A-t-il par quelque endroit laissé passer l’oreille ?
Voilà l’affreux souci, qui dans la nuit l’éveille !
Il est aimable en somme et gentil compagnon,
Et sur la grande rue il aura son pignon !
Il sera député, peut-être un jour ministre,
Mais même ce jour-là ce ne sera qu’un cuistre !
Qu’il se presse aux honneurs ! qu’il se hâte au festin !
Car son nom est écrit au livre du destin,
Parmi les noms de ceux, que de ta plume ardente,
Tu marquas à jamais, terrible et sombre Dante !

Allez Sanchos Panças, vautrés sur votre ânon,
Qui répondez toujours aux don Quichottes, non !
Cyniques mesureurs des coupes mal remplies ;
Chanteurs en faux bourdon des plates homélies ;
Faux-monnayeurs des Droits à jamais bafoués ;
Pour qui les Juvénals manquèrent de fouets !
Hâtez-vous ! hâtez-vous ! ô faiseurs de grimaces,
Plus orgueilleux que paons et plus plats que limaces,
Pour votre être chétif, point n’est de piloris !
Vous vous effacerez dans l’ombre du mépris !
Nul se souviendra de vous ! Votre mémoire
S’en ira comme une eau de l’égout, lente et noire !
Car vous n’avez rien fait (ni mal ou bien) de grand !
L’infiniment petit vous regarde et vous prend !

Allez ! allez en paix, allez, ô petits hommes,
Vous qui montrez si bien tout le peu que nous sommes,
Et qui faites affront aux mânes des aïeux,
Retirez-vous sans bruit, ô gnômes odieux ;
Vous avez pu longtemps, ô race d’invisibles
Échappant à nos traits, vous sacrer invincibles…
Mais sans plus essayer de vous atteindre au cœur
Nous allons balayer d’un coup le camp vainqueur !
Hâtez-vous ! hâtez-vous d’assurer vos derrières,
Contre les coups de pieds, contre les coups de pierres !
Hâtez-vous de sortir par la porte du fond
Roulant votre bedaine avec un air profond !
Allez ! sortez de là, trahisseurs de l’Idée !
Partez, tout affront bu, toute coupe vidée !
Allez, ventres ! ventrus ! tas de ventripotents !
Bonjour, bonsoir, adieu ! peut-être pour longtemps !
Adieu ne tentez pas, j’en atteste Minerve,
Non, notre haine, au moins notre gauloise verve,
Car elle pourrait bien vouloir, ô satisfaits !
Connaître un peu comment ces merles là sont faits !

Erreur en deçà, Vérité au delà


Voici un axiome qui s’applique admirablement à cette éternelle question des droits de la Femme.

Je ne puis penser, sans un profond étonnement que ce qui scandalise et effraie si fort, en France, notamment, certains esprits qui croient être de leur temps, semble la chose la plus naturelle, la plus juste, pour d’autres hommes d’égale intelligence, et qui ne sont ni Cafres ni Hottentots, mais tout simplement Américains, Anglais ou Suisses.

Ah ! ça, chers contemporains, qui trompe-t-on ici ?

Je lis dans un grand journal, je ne sais plus sous quelle signature, à propos d’une ligue qui se fait en Angleterre pour l’obtention des franchises et droits de vote pour les femmes, ligue dans laquelle sont entrés de hauts seigneurs anglais je lis ceci :

« L’Angleterre va bientôt donner aux femmes le droit de voter ; nous ne sommes pas fâchés qu’ils fassent avant nous cette expérience. »

— Eh bien ! je le dis tout net : cela est humiliant pour notre pays ! Depuis quand la France de 89 doit-elle suivre les autres nations dans l’octroi des libertés ?

Jusques à quand les femmes Françaises baisseront-elles un front d’esclave devant l’attitude triomphante de leurs sœurs d’Amérique et d’Angleterre !

Depuis plus de dix ans, avec l’avènement et le triomphe des médiocres, nous constatons cette diminution de la fierté française et nous, femmes, nous ne savons pas nous y résigner.

Allons ! France ! un grand sursaut ! Allons, mère des Titans, secoue les pygmées qui se sont attachés à ton flanc.

Allège-toi des Tartuffes, des Basiles, des Chrysales, des Prudhommes et des Gribouilles qui rongent l’esprit français ; ces lâches, ces imbéciles, ces trembleurs qui te tirent en arrière et menacent de faire de toi la risée des peuples.

Voyez-vous cette grande France qui, dit-on, a peur des femmes ?

On la retient — cette femme tant grandie — cette femme enfin majeure, par les draperies de sa robe et on lui fait les gros yeux…, on lui dit à cette Minerve moderne, sortie tout armée du front de la science, elle aussi libérée, on lui dit : « Quand même tu serais l’âme du monde tu ne passeras pas. »

On lui chante de toutes parts, comme dans une romance célèbre : Ne parle pas, je t’en supplie ! » car il est évident que si la Femme parle, tout est perdu. Personne ne répond plus de rien, et le péril social, le fameux péril sociâl, que vous savez, c’était Elle ! Elle seule.

On le répète de tous côtés : La Femme parle ! la Femme va parler !

Voyez-vous l’ahurissement de la France, l’épouvante de Paris à cette nouvelle.

— Citoyens, on nous signale la présence de quatre doctoresses, de deux poètesses et de trois oratrices dans les environs du Palais-Bourbon. Citoyens, ne dormez pas en paix !

Ou bien :

— Une avocate, gardée soigneusement à vue par douze gendarmes, a pu tromper leur surveillance et, à cette heure, elle siège — en robe — à côté de MM. les avocats terrifiés ! ! ! les jupons de maitre X… sont en danger.

Allons, messieurs de la Gaule, montrez que le vieux sang des vaillants coule encore dans vos veines ; eux, ces fiers Gaulois, ne craignaient pas l’Esprit de la Femme ; ils l’invoquaient, cet Esprit-là, avant de décider la moindre expédition.

Nous, femmes de ce temps, nous n’en demandons pas autant, sûres que nous sommes que le jour où vous vous déciderez à nous admettre dans vos conseils, vous n’irez plus en guerre, car la guerre, nous l’aurons tuée !

Un Moineau Franc.
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CONCOURS

Prochainement nous ouvrirons un Concours de poésie satirique dont nous indiquerons le sujet.

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L’ITALIA UNA
ET L’ALLIANCE ALLEMANDE


Peut-être que demain, ô suave Italie,
— Se souvenant de tes liens. —
Un homme au souffle impur, à la lèvre salie
Mêlera ses baisers aux tiens !
Prends garde ! ô charmeresse hier encor esclave,
Repousse au loin le corrupteur !
Tes fleuves n’ont point d’eau, tes volcans point de lave
Pour noyer tant de puanteur !

Prends garde ! et souviens-toi de tes fils, de ta race,
De tes chantres, de tes guerriers ;
Songe au Verbe latin, qui dompte et qui terrasse,
Et songe à nos doubles lauriers ;
Italie ! Italie ! écoute et sois fidèle
À tes frères, à tes amants !
Ton aube à nos rayons a pris son étincelle,
Ne trahis pas tous nos serments !
Va dire aux trahisseurs de l’Idéal superbe,
À ces pitres en oripeaux,
Que leur affreux espoir a séché comme une herbe
Que tu respectes tes drapeaux ;
Va dire qu’au pays des fleurs et de la joie
On craint la honte et les remords,
Que — Rome — est à l’abri de tout oiseau de proie
N’étant plus la Ville des morts ;
Dis au Teuton qui croit à l’humaine infamie
Que tu te souviens de Néron ;
Que, Rome, des tyrans restera l’ennemie
Et qu’à l’injure tu dis : Non !
Dis, ô peuple nouveau de l’antique Ausonie
Fier Lazare ressuscité,
Que tu n’as pas d’échos qui disent : félonie !
Quand tous répètent ; Liberté !
Dis, ô pays des chants, du soleil, des poètes,
Du Dante et de Leopardi,
Que ton Unité clame à jamais sur les faites
Deux noms : France et Garibaldi !

R.M.
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NEMÉSIS


VILLIERS DE L’ISLE-ADAM

« … Et nous ferons sur leurs tombeaux
« Des discours émouvants et beaux,
« Qui prouveront combien nous sommes
« Pieux… aux mânes des grands hommes… »
— Ainsi disent les sacristains
Qui naguère âpres et hautains
Défendaient si bien le passage
À tous talents… car, c’est l’usage
Hélas ! en notre beau pays
Que tout sentier soit un taillis,
Et que la main la plus divine
Trouve plus la ronce et l’épine…

(R. M.)


Un poète vient de mourir… On le dit grand, maintenant qu’il ne tient plus de place que sous la terre !

Mourir ? cela arrive à tout le monde, même aux poètes…

Celui-ci n’avait pas écrit Les Châtiments ; il n’était ni un Hugo, ni un Lamartine, ni un Musset, ni un Barbier, ni un Leconte de l’Isle. Il n’avait ni le vol d’aigle du premier ; ni le chant de cygne du second ; ni la grâce amère du troisième ; ni la hauteur sévère du quatrième ; ni la pureté impassible du cinquième. Mais il était un poète, un vrai, un adorateur de l’idéal, sinon un servant de l’Idée moderne.

C’était un délicat, un pur styliste, un écrivain très personnel, un esprit fier : on le lui fit bien voir.

C’était dit-on un gentilhomme et un catholique : cela ne me gêne guère.

L’Esprit de la Femme n’est point celui d’un parti ou celui d’une église, son seul culte est celui de l’Humanité.

Et cependant ce poète est mort à l’hôpital ! et il n’était pas de l’Académie. Que n’imita-t-il M. François Coppée ? Que n’écrivit-il des pièces à l’usage des bons jeunes gens de toutes les sacristies ?

Mais ce croyant n’était pas un cagot, et le mystique savait être aussi un satirique…

Aurait-il eu quelque satire de jeunesse à expier ?

Aurait-il chansonné quelque grand ? ou essayé de monter, comme on dit, sur le dos d’un gros éléphant ?

Les sacristains de quelque chapelle littéraire firent-ils tomber sur son front audacieux l’excommunication majeure.

Organisa-t-on contre lui la « conspiration du silence ».

Fut-il plongé dans cet in-pace moderne, plus infâme que l’autre où l’on engloutit, toute vibrante et frissonnante l’âme d’un penseur ?

J’ai peu lu, ce poète trop modeste qui se résigna à l’obscurité et à la mort, aussi je me creusais la tête et cherchais en vain la raison de cette destinée mauvaise, quand mes yeux tombèrent sur l’article du Gil-Blas, signé Colombine :

« On l’oublia, on le voua à l’obscurité… Le sentiment de réparation tardive qui valut à l’auteur des Contes cruels, tant d’articles émus et vrais, loin de rassurer le

  1. La République Une et indivisible à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Baudin, en vente au bureau du journal.