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No 1. LE NUMÉRO 10 CENTIMES JEUDI 19 SEPTEMBRE 1889.



L’ESPRIT DE LA FEMME
LITTÉRAIRE, SATIRIQUE, POLITIQUE
PARAISSANT TOUS LES JEUDIS

« En France, en Amérique, partout ce n’est plus telle ou telle femme qui combat le grand combat du Droit et de la Liberté, c’est l’esprit même de la Femme. » R. M. (1) — Vérité - Unité - Humanité — « Cet esprit-là ne fait plus peur qu’aux lâches et aux imbéciles. »

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SOMMAIRE

Notre titre, notre devise. — René Marcil.

La Femme et la Politique. — René Marcil.

Marciliennes. — Les Satisfaits.

Erreur en deça, Vérité au delà. — Un Moineau franc

Italia Una. — R. M.

Némésis, Villiers de l’isle Adam. — René Marcil.

Femina. — Lucien Cardoze.

Guerre aux Prejugés. — La Femme aux Rubans verts.

Mission de la Femme Contemporaine.

NOTRE TITRE, NOTRE DEVISE


En prenant ce titre : l’Esprit de la Femme, j’ai pour but de rassembler et de synthétiser les aspirations et les idées féminines en marche vers un avenir plus pur et plus humain.

Mais ces aspirations, ces idées, ont besoin d’être ralliées par une devise, une devise qui puisse être celle de la cause féminine toute entière et non pas celle d’un groupe quelconque (car il est temps de dégager l’Esprit de la Femme de la gangue des coteries intolérantes et des chapelles étroites.)

Quelque ambitieuse que puisse paraître la recherche d’une telle devise, je l’ai tentée.

Il y a environ dix ans, lorsque j’eus fini d’écrire le petit poème : La Mission de la Femme contemporaine, qui parut dans la Citoyenne, l’idée de cette devise me vint.

Je fus tout à coup frappée par cette réflexion que la devise républicaine, cette belle formule inscrite sur tous nos monuments (qui même pour les hommes n’avait été qu’un mirage grandiose), avait manqué de vertu pour notre affranchissement.

Liberté — Égalité — Fraternité

Liberté ? — Nous, femmes, restions esclaves !

Égalité ? — Nous restions assimilées aux incapables et aux indignes !

Fraternité ? — La prostitution d’État nous disait comment les hommes entendaient cette fraternité-là !

Superbe, notre devise républicaine, mais inaccessible.

C’est pourquoi, sous ces mots : Liberté — Égalité — Fraternité — sous ces mots m’apparurent enfin ceux-ci : Vérité — Unité — Humanité…

La Formule était trouvée ! De plus je lui laissais le nombre, le rythme et la rime de sa grande aînée… et il me sembla que cette Formule qui m’était dictée par l’Esprit de la Femme, s’en allait plus loin et plus haut dans la voie humanitaire.

Examinons :

Vérité. C’est le mot de la Science et de la Libre-Pensée, c’est le libre examen, base du monde nouveau ; c’est le rationalisme vers lequel s’en va chaque jour plus lucide l’Esprit de la Femme.

Unité ! c’est le vœu des peuples, le port où doivent aborder les hommes et les nations toujours en guerre.

Humanité ! c’est le terme dernier et absolu de la Justice encore si imparfaite et boîteuse.

Humanité dépasse Fraternité. Car le christianisme qui avait proclamé les hommes frères, n’empêcha point les chrétiens, pendant des siècles de rôtir leurs dits frères dans les auto-da-fé, ce qui eut été impossible, l’Humanité régnante…

Unité dépasse Égalité, car elle unit le fort et le faible dans l’action humaine, alors que l’Égalité les isole dans un terme menteur — la nature ne créant pas toujours des égaux…

Vérité dépasse Liberté, car elle rend véritablement l’homme libre, en l’affranchissant par la recherche des effets et des causes, du mensonge des théologies oppressives…

. . . . .

Et maintenant, demandera-t-on, quel sera notre programme ? Le voici :

Étudier les problêmes sociaux ; chercher des solutions pratiques.

Combattre sans merci les préjugés politiques, philosophiques et religieux.

Faire la guerre au fanatisme, à la bêtise, à l’esprit jésuitique.

Donner la note juste et désintéressée, c’est-à-dire vraiment féminine dans le concert… ou plutôt dans la cacophonie contemporaine.

Indiquer quelle est la mission de la Femme, ce qu’elle est, ce qu’elle doit être dans la société renouvelée.

Susciter l’initiative féminine en vue d’une propagande féconde par des journaux et des meetings.

Enfin, faire l’appel des capacités féminines, et les convier à s’entendre, dans le but de faire entrer dans la voie de la réalisation (en dehors de toute intrigue ou coterie), le grandiose projet de la Fédération universelle pour le combat de l’Idée émancipatrice dans le monde entier.

— Femmes que la Science fit conscientes, femmes que la Libre-Pensée fit libres, unissez-vous pour libérer le peuple immense de celles qui souffrent et gémissent sur la terre.

Après le noir, la blanche.

René MARCIL.
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LA FEMME & LA POLITIQUE


La forme du Gouvernement importe-t-elle à la Femme.

Voici une question qui me semble-t-il n’a pas encore été posée au moins de cette façon, et qui va quelque peu ennuyer les Philistins de la politique, de la philosophie, et de la morale courante… laquelle morale ne court pas assez vite pour rejoindre les générations qui l’ont déjà dépassée de beaucoup.

Ils ne cessent cependant, ces Philistins essouflés, de crier sur tous les tons : « Les femmes ne doivent pas s’occuper de politique ! »

Et les femmes « pauvres naïves » se sont énergiquement défendues de cette accusation de s’occuper de politique. Eh bien ! elles ont eu tort, car c’est de la forme du gouvernement que dépend l’avancement ou le recul du droit humain, c’est-à-dire du droit de l’homme et de la femme.

C’est là, me dira-t-on une vérité de la Palisse, mais alors comment n’est-elle pas apparue à tous ces la Palisse qui s’imaginent ou feignent de croire que nous faisons de la politique pour notre plaisir !

C’est donc par devoir que riches et pauvres, toutes les femmes qui pensent font aujourd’hui peu ou prou de la politique.

Car riches et pauvres, filles de prolétaires ou princesses, toutes les femmes se sentent égales devant le mépris des hommes et le mépris des lois.

Dernier paria de nos civilisations, la femme veut soulever le fardeau des iniquités qui l’écrase et elle essaie d’entrer dans la politique comme elle est entrée dans la science.

Ici comme là, ce n’est pas à nous à nous excuser de prendre notre place au banquet intellectuel, c’est bien plutôt à ceux qui nous dénient cette place ou qui nous en retardent l’octroi de nous présenter leurs excuses.

L’égalité intellectuelle de la femme est un fait acquis ; il n’y a pas à retourner en arrière et à reprendre notre première humilité. Plus que les Revues consacrées à la défense plus ou moins intelligente de nos droits, plus que les prêches, conférences, ou discours des oratrices politiques, les doctoresses ont forcé les maîtres de la science à s’incliner publiquement devant notre capacité. Ce que n’ont pu faire à aucune époque, les femmes les plus illustres dans les arts, dans la philosophie, dans la poésie, les doctoresses françaises et étrangères l’ont fait, remercions les !

Ce que n’ont pu prouver les Sévigné, les Du Chatelet, les de Staël, les Georges Sand, elles l’ont prouvé…

Conclusion : l’homme ne croit pas au génie, il croit au diplôme, ou plutôt l’homme peut nier le génie, il ne peut nier le diplôme. C’est dans le domaine de l’idée pure qu’il faut maintenant porter l’effort de nos investigations et faire notre trouée lumineuse dans le Droit.

Je disais dans je ne sais plus quelle réunion populaire : « Les femmes n’ont pas de droits ? Eh bien ! Qu’elles les prennent tous. » C’était là une boutade, mais qui ressemblait beaucoup à une raison. En attendant qu’on nous restitue tous les droits que toutes les théologies nous ont confisqués, prenons toutes les places que nous pouvons tenir à l’honneur de notre cause.

Faisons aujourd’hui de la politique, non de la politique de métier, de la politique chinoise, mais de la politique de grandes lignes, à grands coups de pinceaux, comme la comprenaient les grands penseurs et les fiers tribuns, qui insoucieux des finasseries si chères aux hommes de notre temps, ouvraient l’horizon révolutionnaire à grands coups d’aile et à grands coups de poings !

Nous n’avons pas de bulletins de vote ? Nous n’avons pas de mandat ? Nous nous en passerons ! Nous prendrons la plume, nous nous servirons de la parole, et nous crierons ces mots :

« La République avant tout, la République à tout prix. »

Nous dirons aux hommes : Votez pour ceux dont le nom représente la plus grande somme de libertés et de progrès ! et nous dirons aux femmes de toutes conditions qui veulent la fin de leurs misères physiques et morales : Usez de toute votre influence au foyer pour faire voter vos maris et vos fils selon l’esprit de la femme qui est le véritable esprit de l’humanité.

Pour moi, je voudrais dire à tous ces républicains des banlieues parisiennes qui firent le 27 janvier pour donner une leçon aux tenants de la République athénienne qu’en ce temps ils pouvaient encore accoler les mots de républicains à ceux de boulangistes mais qu’aujourd’hui cela ne se peut plus.

Je leur dirais que recommencer la mystification le 22 septembre serait plus qu’une faute, que ce serait un crime ; que la République, c’est le bien de ceux qui n’ont pas de biens, que la République à eux prolétaires, c’est leur atelier, leur outil, leur église, leur asile, la place repose les berceaux de leurs petits.

Je leur dirais, qu’on ne met pas le feu à la maison qu’on habite parce qu’on en veut aux locataires du premier.

Je leur dirais que mettre en danger la forme républicaine par qui, seule, est réalisable, la refonte des codes et la réforme des institutions économiques, c’est se trahir soi-même, c’est trahir l’avenir de l’enfant et l’espérance de la femme, et c’est trahir tous les faibles et les déshérités, c’est trahir tous ceux qui ont combattu pour le Droit, et c’est souffleter les martyrs dont le sang a coulé pour l’avènement du peuple.

Je leur dirais que l’auteur du schisme républicain, que le Général, n’est plus à l’heure qu’il est qu’un spectre qui s’efface et se noie dans les flots noirs de l’armée du passé, l’armée cléricalo-monachiste.

Je leur dirais, retirez-vous si vous êtes républicains de