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partie. Mais il était si manifestement au-dessous de son rôle qu’il ne résista pas à un examen sérieux et surtout à l’éprouve de la pratique. Que faire d’une langue dite internationale et qui n’a rien d’international ? d’une langue dont les mots, à peine prononçables, sont plus difficiles à retenir que ceux de nos idiomes ? Aussi, n’est-il pas étonnant qu’en France surtout, nous ayons fait prompte justice de ce système manqué et qu’il soit tombé dans le discrédit.

Malheureusement, l’insuccès du Volapük a rejailli sur l’idée même. On en a pris argument pour la déclarer impraticable. Comme si l’échec d’une œuvre défectueuse prouvait l’impossibilité d’en produire une autre qui réponde au but ! Depuis, craigant sans doute un nouveau Volapük, les journaux se sont généralement contentés d’enregistrer sans examen, comme langue internationale, tout ce qu’on leur a présenté sous ce nom. S’ils y avaient regardé de plus près, au lieu d’en compter une trentaine, ils n’en auraient trouvé qu’une seule de finie et d’essayée pratiquement : l’Esperanto. Tout le reste ne présente que des essais théoriques et inachevés, des ébauches, des esquisses, voire un simple alphabet (!), décorés par leurs auteurs du nom de langue internationale.

Ce que nous venons de dire était nécessaire pour donner une idée du courant que nous avions à remonter et des préventions qu’il nous reste encore à combattre. Nous les étudierons d’ailleurs en détail ici même, car une des fins de cet organe est d’aider nos amis à les faire tomber autour d’eux, en montrant à tout homme impartial combien sont vides ou faux les arguments qu’on nous oppose et combien ils sont démentis par les faits.

Mais avant tout, précisons bien notre but.

Que voulons-nous ?

Donner un moyen sûr et facile de communiquer avec les étrangers dont on ignore la langue et qui ne savent pas la vôtre.

Répandre pour cela dans le monde civilisé un idiome artificiel, uniquement destiné aux relations internationales, idiome qui a fait ses preuves, dont l’étude ne demande quelques jours et qui peut être compris hic et nunc à l’aide du seul dictionnaire[1].

Loin de former le rêve idiot d’une seule langue pour toute l’humanité, nous n’aspirons même pas à voir l’Esperanto employé par tous à côté de leur langue. Ceux-là seuls doivent se servir de l’organe international qui ont des relations internationales ou désirent en nouer. Nous ne songeons nullement à atteindre ceux qui n’en ont pas et n’en veulent pas avoir.

Mais, si elle délimite le domaine de la langue internationale, cette restriction ne l’empêche pas d’être immense. Notons d’abord que l’Europe, pour 21 états, possède 53 langues. Cette situation n’est pas précisément de nature à faciliter les relations commerciales ou mondaines entre états voisins. Mais il y a mieux. Si la France, l’Angleterre, l’Italie et l’Espagne peuvent, à la rigueur, être regardées comme n’ayant chacune qu’une seule langue, il en est autrement dans le reste de l’Europe. Là, chaque état en compte plusieurs, rivales ou ennemies. La Suisse en a 4, l’Allemagne 6, la Belgique 2, les anciennes principautés danubiennes et la Turquie 10 en moyenne, l’Autriche 20. Arrêtons-nous à la Russie, où nous sommes en pleine tour de Babel. Il résulte de ce fait que les peuples de plus des deux tiers de l’Europe souffrent à chaque instant, dans leur vie nationale et sur leur propre territoire, de la diversité du langage. Ne se trouveraint-ils pas bien d’une langue internationale qui leur permit de communiquer facilement entre eux ?

D’autres part, qui les comptera, dans tout pays civilisé, ceux que le commerce, l’industrie, la finance, l’amour des collections ou le goût des voyages, les sciences aussi bien que les arts mettent en rapports constants avec des étrangers ?

Ne les voyons-nous pas se multiplier de plus en plus les établissements commerciaux, les maisons de banque et d’assurance, les fabriques de toutes sortes, les librairies et les magasins de grandes villes, où l’on doit posséder 3 à 4 langues étrangères ?

On dira peut-être qu’il est facile de les

  1. Le lecteur qui ne connaîtrait pas encore l’Esperanto et voudrait avoir de suite tous les renseignements désirables sur la question et sur la langue, les trouvera dans notre Manuel complet, chez H. le Soudier, 174, boulevard Saint-Germain.