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inant.

Ce fut dans la nuit du jeudi saint que j’ai composé l’ode que j’ai récité le lendemain à l’assemblée des Inféconds, où j’ai vu le cardinal de Bernis et le cardinal J.-Baptiste Rezzonico, qui me pria de lui donner copie de mon ode, que j’ai récité par cœur, versant un torrent de larmes. Tous les académiciens pleuroient. Le vrai moyen de faire pleurer est de pleurer ; mais il faut avoir la douleur peinte sur une physionomie qui ait la force d’émouvoir sans faire des grimaces : je l’avois, et les vers me donnoient et me donnent encore le caractère de la matière qu’ils traitent. Le cardinal de Bernis, qui connaissoit ma façon de penser, me dit, quatre jours après, qu’il ne m’avoit jamais cru si grand comédien. Je lui ai juré que, dans ce moment-là, je me suis trouvé vrai, et, après y avoir un peu pensé, il convint que cela pouvoit être.

Le second jour de Pâques, j’ai reconduit à Frascati Mariuccia avec ma fille et Guillelmine, dont le désespoir me déchiroit l’âme.

J’y ai dîné, soupé et couché pour la dernière fois, et Mme Veronica se montre très sensible à ma générosité quand Guillelmine lui présenta tout ce que je lui avois destiné ; mais elle me fit beaucoup de peine le lendemain quand je suis allé prendre congé d’elle une heure avant mon départ. Elle me prit à part pour me dire que, voyant les larmes de Guillelmine, elle ne pouvoit s’empêcher de juger que je l’avois rendue amoureuse, et, après avoir mis devant ma raison plusieurs réflexions très tristes, elle me somma de lui dire en parole d’honneur s’il étoit arrivé entre elle et moi quelque chose de trop sérieux. Je l’ai assurée en parole d’honneur que ses larmes ne pouvoient dériver que d’un amour né de la reconnaissance, et elle parut satisfaite.

Peut-on sommer un honnête homme de part de l’honneur de révéler un secret que l’honneur même lui défend de révéler ? Dieu sait ce que j’ai souffert à cette cruelle séparation. Toutes les séparations sont désespérantes et la dernière semble toujours plus forte que toutes les précédentes. Je serois mort cent fois si Dieu ne m’avoit donné une bonne âme facile à prendre un parti et à se calmer en peu de jours. On a tort d’appeler cela oublier. Oublier vient de faiblesse ; se calmer en substituant vient d’une force qu’on peut mettre dans le rang des vertus. Guillelmine, d’ailleurs, fut heureuse. Elle devint, quatre ans après, femme d’un peintre qui se distingue encore aujour- {{tiret2|aujour|