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ni le même paysage, ni la même couleur. Au contraire, de perpétuels changements, selon l’heure qu’il est, le temps qu’il fait, et la saison. Tel quartier doit être vu le matin, au printemps. Tel autre à midi, en plein été. Tel autre encore durant la langueur de l’automne, vers cinq heures du soir. Tel autre, enfin, la nuit, en hiver, dans la claire sécheresse du froid. À celui-ci, il faut la pluie, à celui-là le dur soleil, à celui-là encore la silencieuse neige ; et encore tout cela est-il variable au possible. Le vrai, c’est qu’il n’y a rien de fixe. Le même quartier, simplement à cause d’une rue très différente d’une autre, peut demander, pour être vu, tout ensemble le matin et le soir, le soleil et la pluie. Ce n’est pas pour rien que Paris, comme on l’a dit, est la ville où l’on retrouve en petit tous les pays du monde, et il est intéressant toujours, à quelque moment que ce soit, et dans n’importe quelle saison. Le tout est de l’aimer et de savoir le regarder.

C’est ce que je vais essayer de montrer ici, moi qui l’aime tant, et qui le sens jusqu’à l’émotion, oui jusqu’à avoir la gorge serrée, quelquefois, de je ne sais quel trouble, devant tel ou tel de ses paysages, de ses recoins, les fameux comme les plus modestes, les très historiques comme les plus récents. Ce que je raconterai amusera peut-être quelques flâneurs comme moi, quelques-uns de ces êtres de plus en plus rares qui aiment à traîner par les rues, l’air endormi mais voyant tout, d’allure pressée mais l’esprit toujours en arrière, accroché à un détail ou à une rêverie, et dont on ne sait ce qu’ils sont le plus, du raffiné ou du gavroche. Et puis, Paris change si vite ! Il y a même à ce sujet deux vers un peu connus, qui prouvent qu’il y a longtemps que cela dure :

 
Le vieux Paris n’est plus ; la forme d’une ville
Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel,



et au moment où nous sommes on le dérange encore avec tant d’entrain qu’il est peut être grand temps d’en fixer quelques tableaux. Il est même à craindre qu’un jour le Parisien ne puisse plus dire qu’il vit dans le pays de ses pères, tant on l’aura changé du tout au tout. Les mœurs aussi s’en mêlent, et il n’est pas jusqu’à certains petits métiers bien parisiens, les derniers qui avaient résisté, qui ne disparaissent petit à petit, comme les