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LE PARIS D’UN PARISIEN


À Van BEVER


On ne connaît pas Paris, même les Parisiens, et le dire n’est pas nouveau. On connaît le quartier où l’on est né, celui où l’on habite, celui où l’on a ses affaires, et c’est tout. Le reste est comme de lointaines provinces où l’on ne s’aventure que très par hasard, à l’occasion d’un enterrement, ou un dimanche de spleen. Combien de gens à rentes, j’en suis sûr, qui habitent la rive gauche, n’ont jamais vu la Bourse, comme d’autres, qui habitent la rive droite et que passionne pourtant l’art dramatique, ignorent tout de l’Odéon. Il en est même, dans certains coins, qui ne sont pas sortis de leur rue dix fois dans leur vie, et pour qui Paris s’arrête à l’horizon de leur fenêtre. Pour d’autres, tout autre quartier que le leur est un lieu presque imaginaire, dont ils ne parlent que par ouï-dire, et sans aucun intérêt. Il faut louer, d’ailleurs, cette paresse, cette incuriosité, ce croupissement. Ce sont eux qui forment et qui marquent chaque Parisien à la ressemblance de son quartier, et qui mettent dans les physionomies, dans les allures, et jusque dans les façons de s’habiller cette diversité qui fait si distinct, par exemple, l’habitant des environs du Luxembourg, du fidèle locataire du quartier de l’Europe.

Ce que je dirai surtout, c’est que très peu de gens savent jouir de Paris. Il n’y a qu’à regarder autour de soi, dans les rues, pour en juger, et je ne parle pas, bien entendu, des provinciaux, que l’étalage de Potin suffit à éblouir, ni des étrangers, qui sont tout à fait excusables. Je parle des Parisiens, les vrais, et les autres. Le flâneur, qu’on dit y être si fréquent, y est au contraire très rare, j’entends le vrai flâneur, si difficile à définir, et qui n’a rien de commun avec le badaud qu’émerveille un omnibus en panne, une dame écrasée, ou la sortie des sociétaires de