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indifférente, puisqu’on nous l’explique avant de nous y faire assister. Le mythe a disparu, le rôle du chœur est amoindri, le drame encadré entre deux corps étrangers. Tout l’effort et tout l’intérêt se portent sur les grandes scènes lyriques et rhéthoriques, où la passion des héros se condense, où le dialogue se resserre.

Au fond d’ailleurs, Euripide lui-même n’est qu’un masque derrière qui se cache l’adversaire vrai de l’art ; il n’est qu’un phénomène de l’esprit socratique. Ici se pose dans l’histoire de la culture grecque le problème qui se rattache au nom, à la personne, à la méthode de Socrate : le problème de « la naissance de la science ». Nietzsche a voulu voir sous un jour tout spécial cette manifestation nouvelle du génie hellénique. Pour lui Socrate est un monstre. À ce moment il considère encore, en poète, l’éclosion de l’esprit scientifique. Les coups qu’il porte contre Socrate ont une destination plus lointaine ; ils visent la science en général. « Mais, ajoute-t-il, le jour viendra, où, la science découvrant ses propres limites, l’art à nouveau pourra vivre et fleurir ». Ici les allusions modernes que Nietzsche avait semées tout au long de son livre se dégagent nettement. Nous apercevons en Kant le philosophe ayant délimité la science, en Schopenhauer et en Wagner les promoteurs du nouvel art promis. On aura remarqué la proche parenté de l’instinct vital dyonisien avec la volonté, et de la vision apollinienne avec la représentation de Schopenhauer[1]. Comme lui, Nietzsche voit encore dans le

  1. Schopenhauer : Le Monde comme volonté et représentation.