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en elle-même, meurt de sa propre main dans la personne d’Euripide. Non qu’Euripide eût eu la puissance de la tuer sans aide aucune. La décadence de l’esprit tragique est préparée de longue main par la décadence de la musique qu’Archiloque avait introduite dans l’âme populaire, sous forme de la chanson. Chez Sophocle déjà le chœur a perdu son importance première. De plus, le mythe merveilleux que les maîtres anciens avaient ranimé, amplifié, grandi, décline et s’éteint. Euripide est saisi de stupeur devant leurs œuvres. Un mystère redoutable lui semble planer sur elles, quelque chose de formidable et d’inconnu qui ouvre des horizons troubles à l’infini. Les personnages lumineux se détachent sur un fond rempli d’ombre ; leurs gestes s’enténèbrent et prennent des proportions inouïes. Le chœur lui-même est horrible d’intuition divine. Cette sphère idéale, où se tenait l’ancienne tragédie, lui paraît étrange, incompréhensible. Il partage avec son temps le besoin dans l’art du clair, du net, du quotidien. En faisant monter le spectateur sur la scène, il s’est vanté d’avoir appris à la foule à juger et à raisonner. Une tendance naturaliste et contraire à l’art vrai envahit le théâtre. Tandis qu’autrefois le poète donnait au cours des premiers actes, en passant, et comme par hasard, les renseignements nécessaires sur le passé de ses héros, suivant en cela son instinct d’artiste. Euripide commence la pièce par le prologue brutal et faux. Un dieu met le public au courant de l’histoire des personnages, un dieu le rassurera sur leur sort (le deus ex machina). On le voit, l’action s’est faite