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Ce serait se méprendre singulièrement sur la nature de la discussion qui doit surgir des motions principales et d'amendement qui sont soumises à notre considération, que de la borner à des déclarations ressassées et répétées que nous ne voulons pas renverser aujourd'hui le ministère qu'hier nous avons installé. Cela va sans dire, cela est compris sans phrases. Mais cela ne comporte nullement que la plénitude des attributions de cette Chambre soit dévolue aux ministères et qu'elle n'ait plus qu'à enregistrer silencieusement si elle improuve, qu'à applaudir avec fracas si elle approuve les déterminations, quelles qu'elles soient. Tant que dure la session, chaque proposition spontanément offerte par l'un des représentants, à quelque côté de la Chambre qu'il appartienne, doit avoir sa solution, rendue soit en la présence des ministres, d'après la considération réfléchie de son mérite, de ses résultats propres à promouvoir ou à retarder le bien public. C'est parce que les ministres nous ont averti qu'ils vont mettre fin à la session qu'ils nous imposent le devoir de dire publiquement ici en Chambre, au pays et à eux, aujourd'hui comme représentants, et non demain comme simples citoyens dans des conversations privées, ce que nous pensons de l'état actuel de la province; il est déplorable de dire ce qu'il y a de mieux à faire pour retarder le progrès du mal: c'est de rester en session.

Nous avons sur la table deux propositions, l'une pour l'octroi des sommes demandées pour acquitter des dettes exigibles, encourues et dues depuis longtemps aux contracteurs qui ont donné leur travail, des matériaux, les salaires d'une multitude de journaliers; aux maîtres d'écoles qui ont donné aux enfants du pays le pain de l'intelligence et qui ne peuvent donner à leur enfants le pain matériel, parce que les ordres signés pour les faire payer traînent dans les bureaux sans pouvoir y être honorés et acquittés; pour l'octroi d'un emprunt inévitable si l'on veut subvenir à des dépenses journalières indispensables: celle-ci doit être votée, et l'autre, une proposition en amendement qui mérite d'être discutée, qui contient une suggestion judicieuse et importante, mais qui ferait disparaître la première et, par cette raison, doit être rejetée ou retirée, comme elle le sera sans doute à la fin des débats.

Je concours dans la plupart des opinions exprimées par l'honorable membre pour Norfolk. Je pense comme lui que le cabinet est trop nombreux, mal comparativement léger; que la Chambre est trop peu nombreuse, constituée sur un principe d'injustice, dans un but d'iniquité; mal immense, auquel, sans perte de temps, il faudrait s'efforcer de porter remède, sans quoi le prétendu gouvernement responsable ne sera qu'un leurre, et son fonctionnement à peine meilleur entre les mains les plus pures que dans les plus corruptrices. Quant au personnel ministériel, il offre une combinaison de talents et de principes aussi bonne que le comportait la composition de la Chambre. Ce ne serait pas en changeant quelques-uns de ses membres contre quelques autres qu'il serait amélioré, ce serait en en diminuant le nombre, pour que la responsabilité du cabinet fût plus directe, plus personnelle, pour que les fonctionnaires qui, d'après la nature de leur emploi, ne doivent pas être des hommes politiques dirigeant en délibération secrète dans le conseil, mais des administrateurs actifs agissant sous les regards du public, soient facilement comptables de tout ce qu'ils auront publiquement fait.

La principale objection à un ministère disproportionnément nombreux résulte de l'exiguïté du nombre des représentants et de l'exagération des dépenses publiques. Avec le temps, ceux qui sont placés et ceux qui désireraient être placés viendraient à former une si forte proportion d'hommes personnellement intéressés à faire prévaloir les décisions qu'ils auraient prises en secret, entre hommes réunis à cause d'une communauté d'opinions et d'intérêts, que le reste de la Chambre n'aurait pas sur eux le libre et entier contrôle qu'elle doit conserver sur toutes les autorités. Que la Chambre sente à chaque instant sa dépendance de l'opinion publique, éclairée par la discussion la plus libre possible; et que les hommes en pouvoir sentent à chaque instant leur dépendance d'un corps représentatif très indépendant d'eux: voilà le gouvernement responsable dans son essence, non tel qu'on l'a fait jusqu'à présent pour les Canadas. Cette Chambre est le grand conseil du peuple après le souverain, et doit donner l'impulsion, non la recevoir de ceux qui avisent le souverain dans l'intervalle des sessions, cette Chambre est trop haut placée pour qu'elle doive jamais descendre au rôle subordonné d'un corps de partisans. Diminuer les dépenses et largement augmenter la représentation en proportion des populations fera croire au gouvernement responsable; donnera à des réformistes sincères le pouvoir, qu'ils n'auront pas sans cela, d'effectuer des réformes efficaces. La possession de trop de pouvoir et de patronage finirait par corrompre ceux qui ont accepté ce gouvernement, comme étaient faux et corrompus ceux qui l'ont donné.

Le présent système avait été offert par des hommes dont la vie politique entière avait été une conjuration permanente contre les principes du gouvernement responsable. Ils avaient aimé et pratiqué le mystère, la déception, le monopole du pouvoir pour et par les minorités.

Le plan de lord Sydenham avait été d'appeler tous les chefs de départements dans le cabinet, et de faire de tous les autres fonctionnaires des esclaves serviles, des flatteurs complaisants; de caser le pays en deux camps ennemi qui, dans leur lutte passionnée pour se saisir du pouvoir, oublieraient les intérêts de 999 citoyens par mille, de ceux qui n'aspirent pas aux places, mais qui en paient les frais. Le système tel qu'il l'a conçu et formulé a été, avec plus de confiance que n'en méritait son auteur, accueilli par tous les partis. Les Parlements qui ont suivi le sien, comme celui qu'il avait formé par l'introduction de tant d'hommes ou inconnus ou impopulaires, qui ne pouvaient être proclamés qu'en empêchant les électeurs d'approcher des hustings; qui s'étaient rendu justice à eux-mêmes et au pays, en ne s'offrant plus à la candidature dans aucune élection subséquente, comme ils n'y avaient jamais paru dans aucune élection antérieure, se sont asservis à suivre la marche inconstitutionnelle qu'il avait tracée. Les ministres ont trop dirigé, les Chambres trop enregistré.

En Angleterre, le nombre des mesures regardées comme ministérielles est sagement restreint et circonscrit à un petit nombre de propositions les plus importantes. Il y a accord entre les partis, que la discussion la plus approfondie, la plus énergique ne roulera que sur un petit nombre des mesures qui ont un intérêt d'actualité assez grand pour que, du point de vue sous lequel elles sont envisagées, attaquées et défendues, l'opinion publique s'éclaire, progresse, et décide par la majorité des votes en Chambre de la chute ou de la conservation des ministères. La plus grande proportion de beaucoup de projets de loi, proposés durant chaque session, est introduite par des membres indépendants de toute liaison directe ministérielle. Non que l'influence ministérielle, qui est celle de la majorité, y soit nullifiée, mais elle n'y est pas personnelle; mais ils se conservent pour eux, et laissent aux autres la liberté de voter sur la plus grande partie des questions qui se discutent chaque session, chacun d'après son opinion individuelle. La plupart des travaux parlementaires s'élaborent et se décident dans les comités spéciaux. Qu'ils soient choisis par l'orateur ou par la Chambre, une attention scrupuleuse à y répartir, dans les justes proportions qu'ont les partis en Chambre, des membres de tous ces partis, leur donne la conviction qu'ils sont traités avec justice, et que la décision de la Chambre serait la même que celle du comité. La règle générale est donc de ne pas appeler de sa décision. S'il n'en était pas ainsi, il serait au-dessus des forces de quelque ministère que ce fût, de se charger de l'obligation de lire, en Angleterre, le nombre des lois qui y sont sanctionnées chaque année; et ici, de prendre la responsabilité de répondre de la bonté de toutes les mesures de législation qui sont nécessaires chaque année, pour régler les intérêts divers et compliqués de notre société, quelque peu considérable qu'elle soit encore, comparativement à celles qui forment de grands États indépendants.

Je ne comprends pas que l'on veuille regarder comme un vote de non-confiance le vote consciencieux et libre qu'un collègue donnera contre une décision des ministres, quand il pensera qu'elle est une erreur. En mettant fin prématurément à la session, je crains qu'ils ne se nuisent à eux-mêmes, j'en suis donc surpris; mais je crains de plus qu'ils ne nuisent aux intérêts publics, alors j'en suis profondément affligé. L'on peut sans l'ombre de contradictions demander la prolongation de la session, tout en leur répétant un vote de confiance s'il y avait utilité à le faire. C'est parce que la Chambre ne pourra plus les aviser dans quelques jours qu'ils y a nécessité de le faire à l'instant. Il y a une foule de mesures entamées qui peuvent se perfectionner et se terminer avec d'heureux résultats pour le pays, sans que la responsabilité ministérielle soit aucunement engagée.

Avant d'entrer dans le détail de ce que sont ces mesures, je dois répéter aujourd'hui, demain, jusqu'à ce que l'on ait fait cesser la nécessité de le redire, que le premier pas à faire pour parvenir à une sage législation pratique et populaire, c'est la réforme parlementaire. N'être pas prêt dès cette session à faire faire un recensement correct, c'est n'être prêt, au plus tôt, qu'après la prochaine session, c'est de quatre ans en perdre deux; c'est s'aveugler sur la nature des obstacles, sur l'étendue des répugnances qu'il y aura à concéder ce premier acte de justice dans le Conseil législatif, au Bureau colonial, partout où l'on a consenti et décrété l'infériorité politique d'une race vis-à-vis de l'autre, d'une section de la province vis-à-vis de l'autre. Et pourtant, aussi longtemps que cette égalité politique entre tous les citoyens n'aura pas été établie, la législation continuera à être aussi partiale, inefficace, désagréable, inexécutée dans le Bas-Canada, qu'elle l'a été depuis les ordonnances du Conseil spécial et depuis l'acte d'Union. C'eût été un acte de haute sagesse, une solennelle protestation contre l'existence transitoire de ce pouvoir irrationnel, irresponsable, que d'abroger, par un seul acte plein de justice, toutes les ordonnances remplies d'injustice que ce conseil de muets a ratifiés. Ont-elles quelque chose de bon? C'est à un gouvernement régulier, constitutionnel, à le rétablir. Cette expression de haine contre le pouvoir arbitraire eût été une expression d'affection pour le gouvernement responsable ferme, actif et bien compris.

Depuis l'Union, tous les ministères tour à tour ont adopté la pratique erronée d'exiger que tous et chacun de leurs membres fussent enchaînés à appuyer l'ensemble et les détails de chaque bill produit par quelqu'un deux, quoiqu'ils eussent pu consciencieusement différer sur quelques-uns de ses détails; de faire, des questions mineures ou de simple jurisprudence, des questions politiques ministérielles, de vouloir que tous les projets de loi un peu importants fussent préparés et présentés par eux. Que le ministère soit en grand ou en petit nombre, c'est se charger de plus de travail qu'il n'en peut bien remplir. Quand il est nombreux, c'est se constituer trop fortement. L'influence de douze membres enchaînés à n'exprimer publiquement qu'un même sentiment, si dans une délibération secrète il a été celui de sept d'entre eux, devient une influence dangereuse à la libre discussion, à la pleine indépendance, au contrôle efficace que l'assemblée doit conserver sur eux.

Il y a une foule de mesures qui peuvent se continuer sans inconvénient pour le ministère et avec avantage pour le pays.

Tels sont les bills privés demandés en grand nombre par des parties qui sont préparés à engager leurs capitaux dans des améliorations utiles à eux-mêmes et au public. Tout le travail qui est préparatoire à des actes de législation générale ou locale, tel que les enquêtes qui se font dans les comités spéciaux, et qui conduiraient à l'introduction de bills, les uns cette année, les autres dans une ou deux années, si les enquêtes commencées ne se terminaient pas dans une première session, mais étaient reprises et continuées dans une seconde et une troisième, ne devrait pas être interrompu dans la plus urgente nécessité. Supposant que le ministère entier ne pût avoir repris ses sièges sous peu de jours, une proportion suffisante pour partager les travaux de la Chambre peut s'y trouver dans de brefs délais. Fussent-ils présents, ils sont trop récemment installés pour qu'ils aient à vous offrir aucune mesure importante de réforme, de législation; de réduction des dépenses inutiles qui se sont si follement accrues d'année en année depuis l'acte d'Union. Eh bien! soit; pendant trois longues années d'opposition formidable, où ils avaient la majorité réelle contre la majorité fictive, ils auraient chaque jour déclaré avoir meilleur droit à l'exercice du pouvoir que leurs adversaires, chaque jour ils auraient espéré les remplacer, pour n'être jamais prêts à faire mieux qu'eux dans la première session qui suivrait leur succès. Puisqu'ils disent n'être prêts à proposer aucune loi importante cette année, pas même sur les sujets qu'ils ont discutés pendant trois ans, la Chambre ne leur en demandera aucune; mais il n'y a pas en cela une raison suffisante de prorogation. La Chambre doit demeurer quelque temps en session pour être consultée sur des questions qui, si elles peuvent être résolues conformément aux voeux et aux intérêts du peuple, tendront plus vite en un jour à l'enrichir, à développer rapidement les ressources du pays, que ne le feront plusieurs années de notre législation. Ce sont celles qui peuvent d'un moment à l'autre nous donner la réciprocité d'un commerce facile avec les États-Unis d'Amérique; l'avantage d'un commerce direct avec toutes les nations du monde; la libre navigation du Saint-Laurent et de nos mers dans l'intérieur; les pavillons de tous les peuples amis flottant sur nos eaux, les consulats de tous les peuples amis établis dans nos villes. Ce sont ces questions vitales que sont à l'état de délibération dans le Congrès américain, dans le Parlement anglais. D'un jour à l'autre l'Angleterre peut demander notre avis, le Congrès s'attendre à l'expression de nos voeux; il est donc heureux que la Chambre soit en session,