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ce dernier au Havre sous le nom de Leblanc. Vincent se donne également à tort pour le comte d’Artois, car j’ai vu mon cousin à la prison du Havre sous les haillons d’un mendiant.

22. — Ma dernière chanson a pour refrain :

Au duc de Bordeaux j’abdique mes droits.
Qu’il règne en paix sur ma patrie ! (bis)

24. — L’esprit naturel est plus profond que celui qui s’acquiert par l’étude. J’en trouve la preuve en moi-même. Mon esprit naturel, sans le concours d’aucun maître, m’a mis à même d’acquérir toutes les connaissances utiles à l’homme.
Ce qu’il y a de plus beau dans mon esprit, c’est de savoir borner mon ambition.
Je n’aspire ni à titres ni à dignités. Je ne vise qu’à me procurer une position honnête que j’aurais certainement acquise aujourd’hui à la sueur de mon front si je n’avais été victime aux colonies des menées cannibales qui m’ont relégué en ces lieux. Mon rêve est de voir mes champs fertiles tenus avec ordre, mes serviteurs, amis subalternes, dans une mise simple et propre, la physionomie reflétant le bonheur (leur moindre chagrin troublerait ma tranquillité) ; à mes côtés une jeune épouse, organe de mes sens ; on ne verrait donc pas la ronce flétrir la rose jolie ; mes cheveux blanchiraient sans que j’aie à me reprocher une infortune. De chers enfants offriraient un bien doux tableau au bord de ma tombe...

25. — J’ai écrit à la supérieure de vouloir bien dorénavant ne plus m’adresser la parole. Il est pénible en effet à une âme vertueuse d’être contrainte à témoigner son mécontentement, même à une coupable.

27. — Lorsque meurt un empereur de Russie, on place à toutes les frontières de l’empire des vedettes que l’on ne retire qu’à la prestation de serment de son successeur.
Je suis, moi, roi d’une nation qui, sous mes ordres, ne craindrait pas les forces de toutes les puissances réunies, et je n’ai pour vedettes que mes yeux et mon esprit. Ils doivent être vigilants. Ainsi hier je me suis aperçu qu’on me versait à boire différemment qu’aux autres. Comprenant ce qui se passait, j’ai échangé mon verre contre celui d’un autre détenu qui a été malade.

29. — Un peu avant midi, le directeur, accompagné de deux autres personnes, a visité notre clôture et m’a annoncé qu’avant peu je rentrerais chez moi.

30. — On m’a délivré mes effets nettoyés et rapiécés. Je me suis fait